Chapitre 8 : Armand

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 Oups...

 Prise de court, Bernadette demeura de longues secondes bouche bée. À force de trop s'épancher, de trop prendre à cœur ces Zavialov-Corlier, elle se trahissait. Déjà, tout à l'heure, Manon aurait pu la démasquer. Heureusement que la marmaille était arrivée au bon moment...

 Pendant que Natasha la scrutait, elle chercha quelque chose de plausible à répondre. Elle éluda, à court d'idée :

 — Oh, tu sais ! C'est... on trouve n'importe quoi, sur l'internet !

 — C'est vrai ? C'est super ! Tu pourras me montrer tes tutoriels ?

 — Ouais, quand les caniches sauront voler. Heu, je veux dire, recommence avec tous mes conseils ! 

 Pas le moins du monde alarmée, son apprentie répéta, en prenant grand soin de suivre les directives. La septuagénaire la laissa finir, puis apprécia :

 — Mieux. C'est bien ce que je pensais, tu es une soprano colorature. Mais... pense à la verticalité du son.

 — Tu peux être plus explicite ?

 — Ouais. Pour que ça résonne, le son doit passer par les cavités nasales avec l'ouverture de la luette. Comme s'il partait du bas de ton corps pour aller à l'arrière du crâne. Ça t'aidera à trouver le bon placement. Fais gaffe à ce que ça sonne pas nasillard, par contre.

 — OK. C'est tout ?

 — Non. Quand tu chantes, ne te concentre pas sur le volume. Commence par la connexion... et l'harmonie ! Le reste, on verra au fur-et-à-mesure. Si tu travailles d'abord ces points, tu conserves le timbre et le positionnement du souffle. De cette façon, c'est beau dès le début. Comme ça, progressivement, ta voix va s'amplifier sans se dénaturer. Ce sera agréable, et sans forçage. Et t'éviteras de te casser la voix. Enfin, du moment que tu ne pars pas de tous les côtés avec ces étapes...

 — Pas bête... mais je risque de ne pas pouvoir chanter des trucs trop... vigoureux ! Ce sera insuffisant, pour certains morceaux !

 — C'est sûr qu'il faudra attendre un peu avant de faire du Wagner. Mais c'est bien pour le baroque. Ça peut aussi convenir à d'autres genres... de toute façon, si tu forces, tu chanteras comme une casserole. Et au passage, si tu peux arrêter de brailler du Bizet à tout va, ce sera déjà un bon début !

 — Heu... OK...

 — Sinon, c'était bien. Et la prochaine fois que tu chantes, pour te décrisper, marche un peu avant... ça remet le corps d'aplomb, et ça détend. Marcher au moins une demi-heure, c'est ça l'idéal. Même si tu ne chantes pas, d'ailleurs.

 — C'est ce que je fais en rentrant du collège.

 — Tant mieux. Non, tu t'es bien débrouillée. Maintenant, tu peux te détendre, ça te fera du bien...

 — J'ai des tonnes de devoirs, grommela la jeune fille.

 — Alors va les faire. Eh, attends ! Tu oublies quelque chose ! 

 D'une façon suggestive, elle tapota sa joue parcheminée. En souriant, son élève l'embrassa en la remerciant pour le cours. Puis elle s'éclipsa dans sa chambre pour expédier son travail.

 Laissée seule, Bernadette sourit. Cela lui avait fait plaisir, de travailler un peu avec cette collégienne... et tant pis si elle s'était trahie. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus donné de cours de chant lyrique ! Cela lui avait manqué.

 Même, juste en parler lui plaisait. D'après ce qu'elle avait pu constater, l'opéra n'intéressait plus les jeunes. Ils trouvent ça ringard, moche... prétendent que ça défonce les oreilles, que c'est juste du boucan... c'était du moins l'avis de ses neveux : Ferdinand, Antoinette et Gonzague – qui, soit dit en passant, ne lui manquaient absolument pas. Pas plus que cet Émile. Qu'est-ce qu'ils lui tapaient sur les nerfs ! En ricanant, elle songea à cette pauvre Colette, claquemurée chez eux. Qu'est-ce qu'elle devait s'ennuyer !

Attention, Mémé méchante !Where stories live. Discover now