Chapitre 5 : 12 Mai 1943

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12 Mai 1943


Je me suis levé assez tôt, car le soleil se levait alors que je venais juste d'ouvrir les yeux.
J'ai immédiatement sorti la noix de coco meurtrière de mon sac à dos. Je l'ai levée contre le soleil; les rayons chaleureux traversaient ses poils fins.

J'ai sorti mon couteau et j'ai commencé à "éplucher" une moitié de la noix de coco, en rasant les poils et la première couche protectrice. Ensuite, j'y ai gravé, avec la plus profonde concentration dont je suis capable, deux yeux difformes, un gros nez de travers, et une bouche moqueuse et édentée. J'ai également gravé deux oreilles cauchemardesques en arrachant des poils autour.
J'ai ri de bonheur en regardant mon premier et seul compagnon sur cette île, cette noix de coco échevelée ressemblant à un mélange de momie, de grenade et de l'un de ces gnomes diaboliques dont ma mère me parlait quand j'étais enfant.

Quand j'ai levé la tête, en sueur après ce travail minutieux, le soleil se trouvait pile au-dessus de ma tête. J'ai commençé à ramper en direction des cocotiers, en réfléchissant à un autre moyen de locomotion.
J'ai immédiatement pensé à une béquille.
En faire une ne devrait pas être très long ni très difficile. En plus, cela me donnerait une occupation utile sur laquelle me concentrer entièrement, sans penser à ma situation plus que précaire sur cette île.
D'ailleurs, cette île, j'aimerais beaucoup l'explorer un jour. Robinson Crusoë avait un perroquet et un chien; je ne crois pas que des chiens sauvages vivent sur une île à cette latitude, mais il y a des fortes chances que l'île soit habitée par des perroquets.

C'est ainsi qu'en réfléchissant sur mon futur de colonisateur involontaire, je suis arrivé devant les cocotiers sans voir le temps passer.
J'ai frappé un arbre avec le manche de mon couteau; les noix de coco à terre étaient déjà desséchées.
Deux noix de coco sont tombées.
Avec un plaisir incommensurable, j'ai lentement enfoncé la lame incurvée dans la coque dure de l'une d'entre elles. J'ai entrepris un mouvement circulaire, et au bout de dix secondes environ, le quart supérieur de la noix de coco est tombée dans le sable.

Je ne peux pas exprimer en mots ma joie lorsque j'ai regardé à l'intérieur de cette cuvette blanchâtre pour y découvrir un liquide laiteux, ondulant joyeusement par le tremblement incontrôlable de mes mains. J'ai lâché mon couteau, qui s'est fiché dans le sable, et j'ai précipitamment porté à ma bouche l'orifice blanc.
Légèrement amère, le lait de coco délicat a agressé mon palais rêche de ces journées de privation. Ma gorge assoiffée à aspiré chaque goutte précieuse de ce liquide libérateur.

Fini, l'eau de mer, dont la digestion a été pour le moins désastreuse. J'ai du lait de coco maintenant.

Aussitôt ma soif étanchée et le tremblement de mes mains calmé, j'ai découpé une tranche de la chair blanche de l'intérieur de la noix. Mon couteau coupe comme dans du beurre.
Au premier moment magique s'est ajouté un second; la viande du fruit, quoiqu'un peu amère, était excellente, et tellement plus raffiné que cette pâte informe et graisseuse des rations militaires !
J'ai regardé le ciel; il me restait encore de nombreuses heures avant la nuit. J'ai frappé le cocotier à nouveau, et en poussant un peu, trois noix de coco tenaient dans mon sac à dos.
J'ai continué à ramper en direction de la forêt, j'étais obsédé par cette idée de béquille. Il me tardait de marcher à nouveau.
La forêt était assez proche, donc je n'ai pas pris beaucoup de temps à l'atteindre. Je cherchais un bâton convenable pour faire une béquille.

Heureusement, j'en ai trouvé une juste à l'orée de la forêt. Une branche saine, encore reliée au tronc, avec une échancrure à son extrémité. Il y avait seulement un problème; je devais me lever pour l'atteindre.

Je me suis approché le plus possible du tronc, et j'ai ramené ma jambe saine contre mon ventre. En me tenant par les deux mains au tronc, et en me propulsant lentement avec ma jambe, je me suis levé.

J'ai tellement l'habitude maintenant de voir le monde d'une hauteur de vingt centimères que le contraste avec mon mètre quatre-vingts habituel a été saisissant. J'ai du m'agripper à l'arbre pendant cinq bonnes minutes pour remédier à mon tournis.

Je soulevais ma jambe mutilée de façon à éviter tout contact avec la terre. Je ne sais pas comment je suis encore en vie avec cet éclat de métal en contact permanent avec mon système sanguin et nerveux; selon tout principe de science, je devrais déjà être mort, intoxiqué par le métal. C'est étrange, mais cela n'a pas d'importance car je ne peux rien y changer pour l'instant.

Dès que mon tournis s'est arrêté, j'ai dégainé mon couteau et j'ai commencé à sectionner la branche. Après dix bonnes minutes d'effort, j'ai rangé mon couteau et j'ai tiré un bon coup sur la branche. Elle s'est cassée assez nettement.
Je ne l'avais pas encore adaptée à un usage de béquille, mais en m'appuyant sur le bâton, j'ai pu chanceler vers la plage et m'y accroupir précautionneusement.

J'ai ressorti mon couteau et j'ai commencé à enlever l'écorce rêche de la branche, mais j'ai bientôt du me rendre à l'évidence: il faisait nuit, et je ne voyais plus rien. Je n'ai pas très envie de me blesser encore plus, donc j'ai rengainé mon couteau, posé ma branche à côté de moi, et je me suis assoupi.

EXIL, Robinsonade en Seconde Guerre MondialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant