3| L'asociale

276 38 16
                                    

MAIA

Depuis petite, j'ai toujours été quelqu'un d'indépendant.

Bon, j'avoue, ça c'est l'adjectif que j'ai choisi pour me décrire ; pour les autres, c'était toujours un peu plus violent.

Mon père disait que j'étais individualiste, ma mère asociale. Seule ma tante me comprenait et se contentait de dire que j'étais simplement quelqu'un d'autonome.

Je n'ai jamais compris pourquoi est-ce que c'était quelque chose qu'on me reprochait. En quoi est-ce que passer du temps avec soi-même devrait être un crime ? À part les personnages des séries que je binge-watchais tous les jours – remarque, ça n'a pas beaucoup changé –, je n'ai jamais ressenti un réel besoin d'être entourée de beaucoup de personnes. Je n'étais pas très fêtes non plus : je me sentais toujours mal à l'aise au milieu d'inconnus, et encore plus quand je connaissais les gens.

C'était peut-être parce que j'avais peur qu'on voie qui je suis tout au fond de moi, j'en sais rien.

La seule chose que je sais, c'est que ça n'a pas changé. Je suis toujours indépendante, individualiste, autonome ou peut-être asociale selon les termes que vous choisissez. Je ne sais pas si je suis heureuse ainsi, mais disons que je survis. C'est déjà pas mal, j'imagine.

— Madame ?

Morte de peur, je plaque aussitôt une main sur ma poitrine et braque mon regard sur la fenêtre de la voiture, derrière laquelle se trouve un type en uniforme.

Le cœur battant, j'ouvre ma fenêtre en m'efforçant de me détendre.

— Vous attendez quelqu'un ? demande-t-il alors, les sourcils foncés.

Je le fixe un instant avec la bouche entrouverte avant d'enfin comprendre ce qui se passe.

— Non, non, je... J'écoute juste la radio, expliqué-je.

Il me regarde une seconde d'un air équivoque. Bon, de son point de vue, je veux bien avoir l'air légèrement suspecte.

Après tout, ça fait quasiment une heure que j'attends dans ma voiture, garée juste devant l'école primaire. Étant donné qu'il patrouille devant les grilles depuis tout à l'heure, il a forcément dû remarquer les petits regards hésitants que je jette sur le bâtiment de temps à autre. Et s'il est particulièrement observateur, il a également dû me voir en train de me ronger les ongles d'un air nerveux.

Oh merde, j'ai vraiment l'air suspecte.

— Si vous cherchez un endroit où vous poser en paix, je vous conseille le parc à trois rues d'ici. Vous y serez au calme, d'autant plus que les parents ne vont pas tarder à venir chercher leurs enfants. D'ici dix minutes, vous serez assaillie de hurlements d'enfants et de crissements des cartables à roulettes sur le goudron.

Je m'efforce de lui sourire, bien que ce soit difficile. Je sais que ça ne devrait pas l'être – après tout, je ne fais rien de mal –, mais c'est tout de même difficile. Si je m'écoutais, je fermerais ma vitre aussitôt et me replongerais dans mes pensées ou me perdrais sur TikTok pour passer le temps.

Indépendante mon cul ; je suis bel et bien asociale, finalement.

— C'est gentil, mais je suis bien ici.

Il arque un sourcil, comme s'il avait dû mal à me croire.

— Comme vous voudrez. Je vous aurais prévenue.

L'homme continue de me fixer, ses mains puissantes posées sur le rebord de ma fenêtre. C'est drôle, parce que j'arrive à la fois à l'imaginer en méchant de film menaçant et brutal mais également en papi gâteau qui fait tournoyer ses petits-enfants. Il a ce regard à la fois doux-amer que j'ai toujours trouvé flippant, un peu comme celui qu'ont les profs quand ils nous rendent une mauvaise copie et qu'ils ne savent pas s'ils doivent nous engueuler ou avoir pitié de nous parce qu'on est en train de rater nos vies – du moins, selon eux.

GRENADEWhere stories live. Discover now