04 - 𝖳𝖾𝗌 𝗅𝖺𝗋𝗆𝖾𝗌 𝖽'𝗈𝗋

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Kita ne m'avait finalement pas montré son tableau. En fait, il m'avait fait part de sa volonté à le garder secret jusqu'au jour J. Personne ne devait le voir.

« Je ne veux pas que ça me porte malheur » avait-il dit.

Pourtant, Shinsuke n'avait jamais vraiment été superstitieux, il doutait même parfois de l'existence des dieux. Mais je n'insistai pas et me contentai de hausser les épaules; je finirai bien par le voir un jour de toute manière.

Les journées s'écoulaient doucement et malgré ce que j'avais imaginé, mes sentiments pour mon ami ne cessaient de grandir. Je trouvais attendrissants ses gestes les plus simples. Un éternuement, un petit rire, un soupir. Un rien me donnait envie de déposer un baiser sur sa joue ou de le prendre dans mes bras.

Ce soir-là, je reçus un appel de Kita. Il semblait paniqué et je le comprenais : le concours débutait le lendemain et il commençait à douter de son œuvre. Il me dit qu'il aurait dû mettre plus de bleu, utiliser un pinceau plus fin, détailler davantage certains éléments.

- Shinsuke, ça ne sert à rien de regretter quoi que ce soit maintenant. T'as travaillé des heures, c'est forcément réussi. Tu devrais dormir un peu.
- J'y arrive pas, je suis trop stressé.
- Tu veux que je passe chez toi ?
- Mais il est minuit et demi...
- C'est pas grave, je vais pas te laisser comme ça.

    Il me remercia et je raccrochai pour me préparer. Je fourrai un pain melon dans un sac et enfilai mon écharpe avant de sortir de chez moi. La faible lumière des réverbères suffisait à percer la nuit noire qui enveloppait les ruelles vides de la ville. Comme il n'y avait plus de métro ni de bus à cette heure-ci, je mis une vingtaine de minutes pour arriver chez Kita. Il m'ouvrit avec un sourire soulagé et s'excusa encore une fois de me faire venir si tard.

- Tais-toi et mange, dis-je en lui tendant le sachet que j'avais apporté.
- Merci.

    Il embrassa ma joue et j'eus un petit mouvement de recul. Il me torturait.

- Tu veux boire quelque chose ? demanda-t-il en me faisant signe de m'assoir sur le canapé.
- Non, merci.

   Il prit place à mes côtés et croqua dans le pain. Une fois arrivé à la moitié, il le posa sur la table basse et bailla deux fois de suite. Ses yeux étaient à peine ouverts, il semblait sur le point de s'écrouler.

- Tu devrais vraiment aller dormir.
- Ouais, rit-il doucement.

Je me levais pour repartir quand il attrapa mon poignet.

- Tu veux pas rester encore un peu ? J'aime pas être seul.
- Ça fait trois ans que tu vis seul ici, me moquai-je. Tu devrais songer à prendre un coloc.
- Nan, je pense que je serais trop dur à vivre.
- Mais au moins tu me laisserais tranquille... Aïe !

Son poing percuta mon épaule avant que je ne puisse terminer ma phrase et un petit rire s'échappa de ses lèvres. Qu'est-ce que j'aimais ce rire.

    Je l'accompagnai jusqu'à sa chambre et il éteignit toutes les lumières. On s'allongea côte à côte sur son lit et il soupira.

- Tout va bien se passer Shin. J'aurais bien voulu venir d'ailleurs, mais j'ai cours demain.
- C'est pas grave, tu pourras toujours le voir à la fin de la journée. Ils laissent toutes les œuvres exposées au deuxième étage de l'école jusqu'à la fermeture.

Il marqua une pause, l'air pensif.

- Y'a une partie de moi qui espère ne pas partir à New York, avoua-t-il tout bas.
- Quoi ?
- J'ai toute ma vie ici. Et je suis censé m'en aller dès demain si je gagne. Le concours se termine vers 15h et le vol qui nous est réservé part à 17h30.

    Si tôt ? Mon cœur se serra à l'idée que ce soir soit peut-être le dernier que je passais avec lui. Il s'envolerait à l'autre bout du monde et je resterai là, n'ayant aucune idée de la date à laquelle je le reverrai.

- Alors il y a aussi une partie de moi qui ne veut pas que tu partes, dis-je avec un petit sourire triste.

    Une larme roula sur sa joue et il prit ma main dans la sienne.

- Merci pour tout ce que tu as fait pour moi, chuchota-t-il.

     Les lumières de la ville éclairaient son visage et on se regarda un long moment sans rien dire. Puis il se redressa lentement, ses doigts vinrent se glisser derrière mon oreille et son pouce caressa ma joue. Il m'observa longuement et son regard finit par se poser sur ma bouche. Enfin, ses lèvres vinrent tendrement embrasser les miennes, se pressant délicatement et diffusant leur chaleur dans tout mon corps. Leur douceur me fit soupirer et ma main se posa sur le torse de Kita. Ce baiser, aussi bon que douloureux, ne sembla durer qu'une seconde.
     Lorsqu'il s'écarta, cette merveilleuse sensation me laissa un goût amer. C'était trop tôt. Le concours, son possible départ... Tout était trop tôt.

Ou bien trop tard.

*.•

     Le lendemain après-midi, je sortis de cours vers 15h. Je n'avais pas arrêté de penser à Kita  et à notre baiser d'hier soir. Mon téléphone vibra dans ma poche et mon cœur battu un peu plus fort quand je lis le nom qui s'affichait sur mon écran.

- Allô ?
- Les juges viennent de délibérer.
- Alors ??

Sa voix tremblait, signe qu'il avait pleuré avant de m'appeler.

- J'ai fini premier.

༉꙳⟡࿐

𝐁𝐢𝐭𝐭𝐞𝐫𝐬𝐰𝐞𝐞𝐭 - 𝗄𝗂𝗍𝖺 𝗑 𝗋𝖾𝖺𝖽𝖾𝗋 Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ