4. Énervement

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   Ébranler me paraît un terme si réducteur pour ce que j'ai ressenti lorsque Silas s'est jeté dans les bras de sa copine en ouvrant mon cadeau. La petite carte que j'avais scotché au-dessus du paquet a dut glisser quelque part. Je ne sais même pas pourquoi il a pu penser que cette fille lui aurait offert une telle chose. Le pire, c'est qu'Adèle n'a même pas démentis. Elle a semblé gênée, s'est un peu ratatinée sur place, mais a enlacé son petit ami quand ce dernier la remerciait presque outrageusement.

   Cillya était prête à intervenir, mais je lui ai écrasé le pied. Je n'avais pas besoin d'une seconde humiliation. Qu'il ait pu croire que sa copine qu'il ne connaissait que depuis trois mois ait dépensé une telle somme m'a juste agacé davantage. C'était moi et uniquement moi qui aurais dû recevoir de la gratitude. Je ne l'ai pas fait dans l'attente de quelque chose, je voulais seulement lui faire plaisir. Visiblement, je dois avoir un mauvais karma.

   Devant ce tableau beaucoup trop cruel, j'ai simplement fui. C'est sûrement une de mes aptitudes secrètes. Je le fais très bien et rapidement. Cillya n'a même pas cherché à me retenir. Elle a dû comprendre que cette fois-ci, c'était trop. Subir leur couple à longue de journée était déjà une torture que je m'infligeais, mais de là à remercier sa copine au lieu de demander qui pouvait bien être l'expéditeur...  Il y a un monde.

   Depuis, je l'évite. Et il a dû le sentir puisqu'il tente parfois de me coincer dans un couloir pour discuter. Sauf que je n'ai plus rien à lui dire. Piétiner mes sentiments aurait suffi. L'humiliation de ce jour me revient en pleine figure. Si j'étais intervenu, ça aurait été embarrassant pour tout le monde. Tant pis. Cillya a également décidé de le snober. Je lui ai dit que c'était idiot, qu'elle n'avait pas à faire ça pour moi, mais elle reste sur ses positions. Pour elle, Silas n'est qu'un « bouffon sans cœur ». Je la trouve rude, il ignore juste les faits. Elle n'en démord pas.

   Je soupire en sortant de la salle, les doigts sur les tempes. L'examen de français m'a vidé de toute énergie. Je déteste les dissertations : je suis nul. Le zéro pointé me pend au nez. Ma mère ne m'en tiendra pas rigueur, elle sait que je n'y arrive tout simplement pas, mais quand même. Ma fierté en prend un coup.

   — Aurelian !

   Pris au piège, je me retourne. Silas a les doigts cramponnés à mon coude. Dans ses yeux, j'y lis la détermination de ne pas me lâcher. Eh merde... Je cherche une solution pour fuir, mais je sens que cette fois-ci, je n'aurais pas de chance.

   — Je t'ai enfin attrapé. Viens avec moi !

   — Je suis occupé, là.

   — Si j'ai rendu ma copie en avance alors que j'avais encore beaucoup de choses à dire tout en prenant le risque de me taper une sale note pour te parler, tu comprends bien que tu n'as pas le choix.

   J'ai beau protester, il me tire derrière lui. Je finis rapidement par céder parce que je déteste attirer le regard des autres. Et visiblement, les lycéens adorent se mêler de ce qu'il ne les regarde pas. On descend dans la cour et il m'entraîne vers un parterre de fleurs inoccupé, assez loin du bloc central où se réunissent les jeunes.

   Quand il me lâche enfin, je soupire en fronçant les sourcils pour lui montrer mon agacement. Je me masse le coude et grogne quand il pose ses poings sur ses hanches. À son air, je comprends qu'il est également en colère. Sauf qu'il n'a pas le droit. Je suis la victime dans cette histoire. Bon, le mot est sans doute fort, mais l'idée générale y est.

   — Tu peux me dire ce que j'ai fait ?! Depuis mon anniversaire, vous me faites la gueule avec Cillya.

   Je croise les bras sur ma poitrine en feignant l'indifférence. Devrai-je lui dire ? Et s'il me retourne que je n'ai aucune preuve ? Non, je ne préfère pas me prendre la tête pour ce genre de choses. Ça m'irrite, j'en ai parfois des bouffées de colère, mais je refuse de lui expliquer que sa réaction m'a blessé. Je n'ai pas besoin de sa pitié ou de sa compassion. Ce serait d'autant plus cruel puisqu'il ne sait rien.

ÉphémèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant