Elizabeth

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J'ai aimé, pleuré et détesté, j'ai câliné, embrassé, griffé, et je suis tombée. Tombée dans les abysses de cet océan de douleur. Les vagues m'ont tirée de la réalité, le courant a effacé mes repères, l'écume a effacé mes souvenirs. Je me suis perdue pour le sauver, j'ai saigné pour son sourire. Aujourd'hui, j'aime, je pleure, je déteste, je câline, j'embrasse et je griffe. Mais je ne me suis pas relevée.

~17 décembre 1979~

C'était un vendredi ordinaire, le froid s'installait doucement dans les maisons, le vent réveillait violemment les habitants et le son de la pluie me berçait. Cependant, ce jour ordinaire se révélait être celui de mon anniversaire. Je n'étais pas de celles qui sortaient. Je ne voulais pas fêter ce jour. J'étais toujours cette jeune fille au teint ivoire et aux cheveux noirs. J'avais toujours ce grain de beauté près de la bouche et cette tache de naissance sur la hanche. J'aimais toujours lire et écouter de la musique, j'aimais toujours Musset et Klimt, je portais toujours cette bague et ce collier en argent, je détestais toujours l'odeur du lys et le bruit persistant des métronomes posés sur mon piano. Alors pourquoi ce jour serait il différent? Le 17 décembre me permettrait t'il d'exister en tant qu'individu? Non. Alors je me souviens avoir ouvert mes fenêtres, fait mon lit, coiffé mes cheveux ondulés et enfilé un pantalon, un pull  et mes docs marteens puis écouté un vinyle sur l'appareil familial comme un vendredi ordinaire.

Maman et Papa étaient déjà partis travailler, tout deux professeurs agrégés de lettres classiques et antiques, ils aimaient se lever tôt pour profiter de la bibliothèque de la fac. Mais j'avais reconnu l'écriture caractérielle de maman sur une enveloppe posée sur la table:
« Pour te faire plaisir aujourd'hui, nous t'aimons, Joyeux anniversaire Chérie» L'enveloppe contenait de l'argent et une petite sucette. C'était purement gentil de leur part de m'offrir un petit cadeau sans prétention, sans cérémonial ni confetti.

Je me sentais à ma place en hivers, j'aimais sentir la brise fouetter mes joues, j'aimais l'odeur des sapins humides et celle des cheminées. Dans l'immense maison familiale dont mon père avait hérité à York, j'avais pris la plus petite chambre, elle contenait une cheminée, une grande fenêtre et surtout, une petite trape qui menait à un grenier dont personne n'avait connaissance, j'y avais installé des coussins, des couvertures et des livres. J'avais collé mes anciennes partitions de violoncelle aux murs et accroché quelques guirlandes lumineuses. Personne n'était jamais rentré ici.

C'est à 7heures que j'avais pris le bus pour le lycée, comme chaque matin, à 7:30 que j'étais arrivée devant, comme chaque matin et à 8heures que j'avais retrouvé Kat devant notre classe de littérature anglaise.

-Joyeux anniversaire Beth!

Kat était merveilleuse, elle était la grande blonde à la beauté parfaite et au rire enchanteur. Jamais une once de jalousie de nous avait séparé, nous nous aimions comme des soeurs et savions très bien que nous étions trop différentes pour nous comparer.

- Merci Kat, j'espère que cette journée va passer vite, j'ai deux contrôles aujourd'hui et je dois absolument les réussir pour les examens de fin d'année.
- Tu n'utilises ces contrôles que pour changer de sujet. Il faut que l'on fête tes 17 ans alors ce soir on va à la soirée de Magy.
- Non Kat, je crois pas que ce soit une bonne idée, tout le monde va me parler et j'ai pas besoin d'eux pour me sentir vivre.
- Tu as besoin de t'amuser, cette année a été éprouvante pour toi.
- Mais Magy a invité tellement de monde...
- Justement, tu pourras rencontrer des nouvelles personnes! Et puis ton ambition va t'emmener à cette soirée.
- Pourquoi ?
- Parce que Magy a des contacts dans l'édition et il semble que son frère qui travaille chez Harper Collins soit de retour pour Noël.
- A qu'elle heure est cette soirée ?
- 19:00, 22 Black Lane
- J'y serais à 20 heures

Kat avait raison, cette année avait été éprouvante pour moi, entre mon accident et la pression des examens, je n'avais pas pris le temps de m'amuser. J'avais composé des mélodies au piano, j'avais lus l'oeuvre de Daphné du Maurier au clair de lune mais je n'avais rencontré personne. La peur et l'inconnu me manquaient. Je voulais retrouver celle que j'étais auparavant.

- Je ne ressens plus rien, je ne rigole pas, je ne pleure pas, je n'ai même pas peur.
- C'est normal Elizabeth, ce sont les syndromes post traumatiques, tu ne peux pas retrouver une vie normale après ce qui t'es arrivé.
- Je ne veux pas d'une vie normale.
- Si tu refuses de te confier plus que ça je ne peux pas t'aider.
- Je ne crois pas qu'une psychologue choisie par ma mère puisse m'aider à avancer.
- Alors nos séances s'arrêtent ici?
- Oui.

J'avais eu tord d'arrêter les séances avec Mme. Au-devant le jour de mon anniversaire mais les mots de mon prof de littérature résonnaient encore en moi.

- Aspirer au bonheur, c'est prendre pour cible un reflet dans la glace.
- Et si ce reflet a disparu Monsieur ?
- Alors retrouves le Elizabeth.

Mon reflet à moi, il avait disparu il y a quelques mois, effacé par la tristesse et le désespoir. Celle que je voyais dans le miroir était belle, certes, sa bouche souriait, ses cheveux brillaient mais ses yeux ne pétillaient plus.

C'est à 19:00 que j'avais commencé à me préparer: jolie robe, collants troués, maquillage et bottines. Le grésillement du poste radio me réconfortait pendant qu'un vieux rock me mettait de bonne humeur. Papa et Maman étaient rarement à la maison alors j'avais laissé un mot sur la table en partant « Je suis avec Kat pour mon anniversaire, ne m'attendez pas, bisous »

Les rues de York un 17 décembre n'étaient pas très rassurantes. La nuit était déjà bien installée et le froid gelait mes sens. Mais j'aimais cette ambiance, l'architecture médiévale de cette ville me fascinait. La peur revenait de temps à autres: une ombre, un bruit sourd ou une sensation d'inconfort. C'était ce que je cherchais, du moins jusqu'à ce que j'arrive chez Magy. Sa maison était trop éclairée, trop chaleureuse et trop décorée. Les invités se bousculaient, riaient, s'embrassaient et dansaient. Je me souviens même de l'odeur des nombreuses bougies au pain d'épices disposées dans le grand salon.

- Tu t'amuses bien? Avait demandé un certain Jack. J'ai appris que c'était ton anniversaire aujourd'hui!
- Oui je m'amuse merci, je crois que je vais aller retrouver Kat.
- Oh Kat? Il paraît qu'elle est à l'étage avec les autres filles.

J'avais alors monté les escaliers, 34 marches en chêne et un étage calme. La porte au fond du long couloir m'avais intriguée, elle était phénoménale, imposante, mais étrangement délicate. Le bruit de la poignée lorsque je l'avais tournée, l'odeur du vernis, la douceur du bois, tout m'inspirait un calme jouissif. Mais l'intérieur de la pièce l'était encore plus, c'était une grande chambre, des centaines de vieux livres ornaient les murs, un immense lit en bois était disposé sous la grande fenêtre de bois noir, des lampes au teint tamisé établissaient une ambiance douce. Mais le véritable trésor était secret, je me souviens avoir levé les yeux, puis retrouvé ces étoiles qui avaient disparues. Littéralement, car de nombreuses constellations avaient été méticuleusement peintes sur le plafond. Je reconnaissait La grande Ourse, Andromède, Pégase, Céphée, Hercule et la Lyre. Mais quelqu'un m'avait extirpé de ce rêve, un garçon qui m'était familier.

- Toi aussi tu t'es réfugié ici?

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