Chapitre 3 : Rencontre avec le lion

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   Ma cachette était découverte. Un peu embarrassée, je poussa alors la lourde porte afin de pénétrer dans la lumière de la pièce. Il y avait bien quelqu'un, dos au soleil, le visage caché par les ombres. J'approcha de quelques pas.

   – Pardonnez mon intrusion. Je suis Ellie Winters, la garde du corps envoyée par Clark Malcolm pour votre fille.

   Il avança à son tour, et les traits de son visage devinrent alors plus distincts. Je comprenais tout de suite pourquoi il était aussi populaire avec les femmes : ses yeux sombres avaient quelque chose d'enivrant dans la manière dont ils complimentaient sa peau cuivrée, et surtout dans la façon qu'il avait de vous regarder comme s'il connaissait chacun de vos petits secrets.

   Il s'arrêta tout près de moi, bien trop proche pour que je sois à l'aise.

   – Alors c'est donc toi. Bienvenue chez moi. Tu as apprécié la voiture ? J'espère que mes employés ont été suffisamment doux avec toi.

   Je trouvais qu'il me tutoyait un peu trop vite à mon goût. Mais surtout, je n'aimais pas l'idée d'être vue comme une petite chose à manier avec douceur. Je gardais la tête baissée en guise de respect, mais l'envie de calmer ses ardeurs me titillait la langue. Mon objectif de rester la plus professionnelle possible me maintenait cependant les pieds sur terre.

   – Je vous en remercie. Mais un tel accueil n'avait pas lieu d'être.

   Il émit un rire grave, tout en m'observant de haut en bas.

   – Inutile d'être aussi rigide. 

   Sa main se posa sous mon menton, et je réprima un sursaut. D'un doigt, il leva doucement mon visage vers lui.

   – Tu n'as pas l'intention de me regarder ?

   Inconsciemment, je plongea alors mon regard dans le sien. Ce fut la pire erreur de ma vie, car plus jamais je ne parvins à sortir de cet océan couleur charbon. Ses yeux, presqu'aussi noirs que la nuit, semblaient contempler les miens à la recherche de quelque chose qui m'échappait.

   – Tu as l'air plutôt forte. C'est la première fois que j'engage une femme pour ce job, alors j'étais plutôt curieux. Mais je vois que Clark ne lésine pas sur la qualité de ses employés. Je devrais le remercier pour un si joli cadeau.

   Déstabilisée par une telle approche, je recula par réflexe. Ma réaction eut l'air de l'amuser, mais de mon côté, je n'avais pas envie de rire. Je n'étais pas venue dans cette maison pour me faire draguer par un Don Juan qui n'avait aucun respect pour la vie d'autrui.

   – Je suis la garde du corps de votre fille. Pas un trophée à ajouter à votre liste de conquêtes.

   Il esquissa un sourire en coin. Je restais droite et ne le quittais désormais plus des yeux. Il s'approcha encore une fois, ses traits empreints d'une émotion indéchiffrable. Mon souffle se coupa un instant. Il s'apprêta à dire quelque chose, mais fut soudainement interrompu par un son extérieur.

   – Youhou, il y a quelqu'un ? fit une voix juvénile non loin.

   Dario m'accorda un dernier regard avant de quitter la pièce. Je suivis ses pas jusqu'au grand escalier. Juste en dessous de nous, une figure féminine venait de faire son entrée. Un domestique se matérialisa dans la précipitation et délesta la jeune fille de ses affaires. Lorsque Dario entra dans son champ de vision, son visage s'étira en un grand sourire, révélant une rangée de dents parfaitement alignées. Au vu de la ressemblance flagrante entre les deux, je devinais déjà de qui il s'agissait.

   – Tu n'es pas censée être en cours, Rebecca ? dit Dario tout en descendant les escaliers.

   – Je suis la meilleure de ma classe en maths, Papa, je pense que faire l'école buissonnière juste une fois de temps en temps ne devrait pas faire de mal à ma moyenne.

   Dario commença à la réprimander sans jamais hausser le ton. Il avait presque l'air d'un père normal maintenant, bien loin de son attitude d'il y a encore quelques minutes à peine. Rebecca ne l'écoutait déjà qu'à moitié, mais son attention disparut définitivement lorsque son regard se posa sur moi.

   – C'est elle ?

   Je les rejoignis. Je tendis la main à Rebecca, dont elle répondit en faisant de même mais tout en me toisant.

   – Voici Ellie Winters, fit Dario avant que j'eus le temps de me présenter moi même. Elle est ta nouvelle garde du corps à effet immédiat. Et c'est une femme, comme on l'avait convenu.

   Je fus surprise d'entendre que Dario avait déjà retenu mon nom. Rebecca, elle, paraissait satisfaite.

   – Parfait ! Quitte à devoir avoir quelqu'un sur mes traces en permanence, je préfère que ce soit une autre fille plutôt qu'un vieux gars à la mine renfrognée comme le précédent. Il me suivait même pendant mes soirées entre copines, cet espèce de pervers !

   – C'était juste son job, ma puce...

   – Oui, oui, mais ça n'a plus d'importance maintenant, car je suis sûre que toi, Ellie, tu seras bien mieux ! J'espère que tu aimes le shopping ?

   J'acquiesça poliment. Comme la plupart des adolescentes de son âge, cette fille était une véritable pile électrique. Quant à moi, je n'étais pas sûre d'avoir assez d'énergie en mon fort intérieur pour la contenir, mais un travail était un travail. Au moins, elle avait l'air plutôt normale. La violence du milieu n'avait visiblement pas encore eu le temps de corrompre son esprit, et c'était honnêtement plutôt rafraîchissant à voir.

   – Tant mieux ! répondit-elle. Parce que j'ai prévu de passer l'après-midi à faire les boutiques, il me faut des nouvelles chaussures. Je vais chercher mon sac à main et on y va.

   Sans même attendre ma réponse, Rebecca se dirigea vers les escaliers pour ensuite s'engouffrer dans le long couloir que j'avais moi-même pris tout à l'heure, sans doute en direction de sa chambre. Je voulus d'abord la suivre, comme mon travail l'exigeait, mais je décida finalement de lui accorder ces quelques minutes de répit sans ma présence. Elle avait beau avoir l'air relativement enthousiaste pour le moment, je me doutais que d'ici quelques jours, la lassitude aurait très probablement pris le dessus.

   Alors que je la regardais s'éloigner, j'aperçus dans un coin de l'œil que Dario avait fait quelques pas dans ma direction. Lorsqu'il fut assez près à son goût, je me tourna finalement à nouveau vers lui, jusqu'à me figer. Pendant quelques instants, je ne l'avais plus trouvé si impressionnant, à le voir agir presque comme un papa gâteau avec sa fille chérie. Mais dès qu'elle n'était plus là, il redevenait le même homme effrayant comme le décrivent toutes les rumeurs à son sujet.

   Il approcha sa bouche tout près de mon oreille. Cette fois-ci, je ne recula pas, inconsciemment curieuse de savoir où cela allait nous mener. Mon cœur s'accéléra. Son souffle chaud me caressait doucement le visage, et je tenta de dissimuler autant que possible le tressaillement qui venait de me parcourir l'échine.

   – On continuera notre discussion ce soir, dit-il en un murmure.

   Incrédule, je m'apprêtais à lui demander des précisions sur cette affirmation cryptique, mais il recula aussitôt. Rebecca venait tout juste de revenir, sac à main de luxe au bras et une fine couche de rouge à lèvres vermeil accentuant les formes de sa bouche. Elle jeta un dernier coup d'œil dans son miroir de poche afin de lisser d'éventuelles mèches rebelles, et en un instant, elle fut à nouveau au niveau de l'entrée.

   – À ce soir, Papa ! fit-elle d'une voix joyeuse.

   Il lui répondit d'un sourire tandis qu'elle mit le pied à l'extérieur, laissant quelques rayons de soleil parvenir jusque vers nous à travers l'entrebâillement de la porte. Je pris en vitesse ma veste, accrochée jusque là au porte-manteau, et lui emboîta le pas.

   Alors que nous nous éloignions de la maison, je refusa de me retourner. Derrière moi, et ce même à travers la porte, je ne pouvais plus qu'imaginer la présence de Dario. L'air frais avait beau me balayer le visage, je pouvais encore sentir la chaleur de son souffle sur ma peau.

[EN PAUSE] Douce ViolenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant