Chapitre 8

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Tic tac. 

Mes mains sont moites et tremblent. J'ai l'impression que le chauffage est à son maximum. 

Tic tac. 

La boule grandit dans mon ventre. Mes gestes sont saccadés, méthodiques, robotiques. 

Tic tac. 

Je ne vais jamais y arriver. Mon cœur brûle dans ma poitrine. J'ai le sentiment de perdre le contrôle sur mon corps. 

Tic tac. 

Mes mains bougent automatiquement au rythme des tics de l'horloge. Encore quelques minutes avant l'apothéose. Je ne tiens plus en place. Je dois me dépêcher. Je vais avoir du retard. Je ne vais pas y arriver. 

Tic tac. 

Mes doigts deviennent lourds. Je n'arrive plus à les manier devant moi. Il n'y a que quatre heures que ça a commencé. 

Tic tac. 

En découvrant le sujet sur ma table je me suis sentie ridiculement petite face à ma feuille. Trois heures pour répondre au devoir suivant «Le roman révèle-t-il davantage l'âme que ne le fait le poème ?». 

Tic tac. 

Et après deux heures et demi penchée sur mon stylo bic, j'ai l'intime conviction que je ne finirai pas à temps. Ce que j'écris n'a ni queue ni tête. Je suis fatiguée, j'ai l'impression de n'arriver à rien. Je signe finalement ma conclusion dans un dernier souffle et la sonnerie retentit. Alors que tout le monde se lève de la salle en se précipitant vers la sortie, je reste clouée sur mon siège. On est vendredi midi. C'est déjà le week-end. 

Et ça fait quatorze ans jour pour jour que mon père est parti.

Chaque année, c'est la même chose. Il arrive une heure où mon corps se rigidifie, je ne peux ni bouger, ni penser. Je deviens légume. Je ne suis pas triste, juste exténuée par un poids qui persiste. J'ai tellement de questions, tellement de doutes. Bien sûr, ceux-ci refont surface une fois par an; toujours à la même période, quelques temps après mon anniversaire, pendant le printemps. Son départ sera toujours un vide. 364 jours par an, j'en fais abstraction. Mais aujourd'hui non.

La main de Sasha se pose sur mon bras et me ramène à la réalité. Elle me guide vers l'extérieur tout en débattant sur les réflexions qu'elle a trouvées. J'ai hâte de rentrer.

Je file directement dans ma chambre en arrivant. M'allongeant sur mon lit de tout mon long, je soupire toute ma frustration accumulée. Il faut que la journée passe et tout ira mieux. Je tends le bras et attrape l'ipod qui traîne sur ma table de nuit. Je laisse les musiques défiler aléatoirement dans mes oreilles et ferme les yeux. 

Trop d'images refont surface. Le silence de mon père. Les larmes de ma mère, ses cris, ses nuits sans sommeil, son incompréhension. Je serre les dents en revoyant son visage quand elle m'a dit qu'il était parti. Et même si je lutte -pas tant que ça- les larmes me chatouillent la vue. J'm'étais promis de ne pas pleurer aujourd'hui. Mais j'ai cette boule dans la gorge. 

J'augmente un peu le son pour que l'écho résonne dans mon thorax. Je ferme les poings, je rentre mes ongles dans ma paume. La douleur, incessante me fait pourtant rouvrir les yeux. La musique change, des images me reviennent. J'ai froid. Partout sur le corps, je frissonne. En fronçant les sourcils je laisse encore quelques larmes tomber. J'ai toujours cette moue bizarre avec la bouche plissée. J'essaye de m'essuyer les yeux mais ça coule encore. Je plonge alors la tête dans mes mains. Mauvaise idée. Maintenant que j'ai un appui solide je me laisse aller. Je sanglote même. 

Nos Interdits #1 L'étincelle (Sous contrat d'édition)Where stories live. Discover now