Écume

421 43 41
                                    

" J'ai été prise par le remous, celui d'un amour inconditionnel. "

L'immensité de la mer me fascinait, irrémédiablement. J'étais comme dissoute, délivrée de mon corps. Transplantée ailleurs. L'étendue bleutée m'appartenait, je tentais de dompter du regard les vagues écumantes qui se fracassaient contre les parois rocheuses. Le choc était rude. Violent. Et, pourtant, ce sauvage va-et-vient offrait un spectacle presque apaisant.
Quoi de plus beau et doux que les nuances de la nature ?
J'avais appris, au fil des ans, à me faire une place parmi les entrailles du globe. Je devais m'y remédier, le monde humain n'était pas fait pour moi. Et cela, je l'avais compris dès mon plus jeune âge.
L'amitié, l'amour, toutes ces choses m'étaient plus que lointaines, à la limite de l'irréel. Je n'étais qu'une spectatrice des liens émotionnels, un vulgaire témoin.
Certes, il y avait ma famille. J'étais la chair de mes parents qui eux-mêmes étaient la propre chair des leurs. Mais je croyais que le jour de ma création, le je-ne-sais-quoi qui donne leur place aux choses dans l'univers avait fait une erreur.
Au lieu de couler et serpenter paisiblement aux quatre coins de la Terre, de coller de sève et conforter l'odeur des autres conifères, ou encore de déployer pétale après pétale aux premières lueurs du soleil, je suis née humaine. Les os se sont consolidés petit à petit, dissipés sous une peau rosâtre à travers le liquide amniotique de l'être que j'ai, après mon apparition concrète dans le monde humain, appelé "Maman".
Le je-ne-sais-quoi m'a pourtant donné cette marque rosée au dessous de la joue, cet angiome, peut être pour se faire pardonner, peut être pour qu'un jour la communauté humaine prenne conscience que je ne suis pas des leurs, finalement ?

En cet instant précis, celui où l'odeur envoûtante de l'écume, voulant sûrement me narguer chatouillait avidement le bord de mes narines, ma place n'était pas parmi les émotions, les désirs, les ombres humaines.
Du moins je le croyais, jusque là.

« Bonjour. »

Mes mains empoignaient à la fois fermement et délicatement la rambarde de la jetée, mes paupières, quant à elles, se laissaient aller dans un mouvement lent jusqu'à ce que cils du haut et du bas ne forment qu'une rangée quelque peu désordonnée.

« Moi aussi, j'aime regarder la mer. Enfin, tu aimes la regarder, non ? »

Les rayons du soleil chauffaient tendrement la peau de mes paupières, toujours closes. J'avais beau réfléchir, je n'arrivais pas à comprendre, ni même à concevoir que sur certains continents, il faisait jour, alors que sur d'autres, il faisait nuit.

« C'est quoi, ton nom ? »

Le geste fu bref, inattendu. Le sourire avait pris possession de mon visage, soudainement.
J'avais trouvé, j'aurais voulu être la Lune.
Accrochée sur la toile du monde, j'aurais assisté à tout. À la naissance des étoiles, au premier cri des nouveaux-nés, aux premiers amours, au Big-Bang. J'aurais fait en sorte que chacun rêve et trouve sa constellation parmi les astres, celle qui lui corresponde vraiment. Le soir, les gens m'auraient même regardée, admirée.

« Tu sais, moi aussi, parfois, je n'ai pas envie de parler. »

Le geste fu brusque, imprévu. Le sourire s'était évaporé. " Admirée ".
En cet instant, celui où le soleil ne réchauffaient plus mes paupières désormais ouvertes, j'ai compris une chose : le problème n'était pas parmi les humains. Il était beaucoup, beaucoup plus proche que ça. Il était, en moi. Était pour ainsi dire moi.
" Admirée ".
Quelqu'un, un jour, m'avait-il admirée, moi, la fille qui osait à peine se regarder elle-même ?
Mes rêves d'évasions m'échappaient peu à peu. La mer ? Où était-elle, cette étendue qui me fascinait tant quelques minutes auparavant ? Il ne restait devant moi plus que de l'eau, un remous faible, qui me chuchotait presque qu'il pouvait m'accueillir, s'il le fallait.
L'appel de la mer commençait à scintiller, perler sous mes yeux, discrètement, histoire de m'enlever sans alerter personne.

« Tu sais quoi ? Quand j'étais plus petit, la mer me faisait peur, elle m'angoissait. Et puis, un jour ma mère m'a dit que pour réussir, il fallait apprendre à apprivoiser ses peurs, à les surmonter. Tous les jours, elle me prenait par la main, m'amenait ici et me forçait à regarder les vagues se déchaîner, chaque fois un peu plus longtemps. »

La mer me semblait différente, elle aussi devait avoir compris que je n'avais ma place nul part. Son chant prenait le dessus sur mes pensées, enveloppait chaque parcelle de mon être. Son surplus, lui, continuait de se déverser. Il se fracassait sur mes joues, comme sur les parois rocheuses.
Pourquoi rester ? Je n'étais ni une vague, ni une étoile, ni même une fleur. Je n'étais ni humaine, ni même moi.
La mer proposait de m'engloutir, sans laisser la moindre trace. Je n'aurais plus à me poser aucune question. Plus à chercher ma place. Quoi de mieux ?

« Et depuis, je n'ai plus peur de la mer. Je l'aime, même. »

J'étais comme possédée, entraînée par le flot rageur. Qui décidait alors de lui ou de moi ?

« Tu l'as toujours aimée toi, la mer ? »

Prenant appui sur mes paumes, je me suis hissée sur la rambarde, les deux pieds
ballants. Deux options s'offraient à moi : soit je reposais les pieds sur la terre ferme, soit je basculais vers l'avant et rejoignais la roche ou le remous, selon la trajectoire qu'emprunterait mon corps.
Je me balançais doucement, tentais de me raccrocher aux évasions qui m'ont parues alors bien lointaines. La fascination pour la mer. Rien à faire. Je n'avais plus envie de réfléchir, j'avais trop réfléchis, depuis trop longtemps. Toutes ces heures à me demander où était ma place, tout ça pour en arriver à une seule conclusion : nul part.
C'était décidé, ce serait vers l'avant.

C'est à ce moment précis que ses deux bras ont entouré mon ventre, celui où le bout de mes cheveux pointait dangereusement vers l'écume.

Ces deux bras, ceux qui, quelques années après m'entourent encore.

Ceux qui me rappellent que ce jour-là, j'ai su enfin où était ma place.

Hai finito le parti pubblicate.

⏰ Ultimo aggiornamento: Mar 29, 2015 ⏰

Aggiungi questa storia alla tua Biblioteca per ricevere una notifica quando verrà pubblicata la prossima parte!

ÉcumeDove le storie prendono vita. Scoprilo ora