Chapitre 3

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— Comment ça annuler ?

Gillian avait raison. Le parc est grand. Je peux marcher tranquillement sans craindre que Martin agresse d'autres tympans que les miens.

— Pas le choix. Je ne sais pas quand je sortirai...

— Mais qu'est-ce que t'as branlé, Diaz ? Sans mauvais jeu de mots.

Je ris tout de même tout en lui expliquant le topo. Je l'entends soupirer. Mais il ne m'engueule pas. Martin est mon agent et il est l'un des rares – si ce n'est le seul – à croire en moi. Je suis une étoile montante qu'il dit.

— Bon... euh... C'est pas grave. Je vais appeler Priscilla et lui demander si elle est dispo. On va s'organiser autrement. Tu fais chier, hein ? Tu commences déjà avec tes caprices de star !

Ça me fait sourire. Je suis content qu'il décide d'en plaisanter. Visiblement, il n'est pas inquiet pour moi. Ni pour l'alcool ni pour les propos suicidaires. Il me connait. Sept ans qu'on se côtoie.

Il m'a connu au pire de ma forme. Il prétend qu'il me connaîtra au meilleur.

— Je te rappelle dès que j'en sais plus.

— Okay. Et... fais pas le con, Diaz. Tu sais que tout circule dans ce parc...

— Ne t'en fais pas. Je ne toucherai à aucune drogue. Tu me connais. Je n'ai jamais déraillé depuis qu'on se connait.

— Ouais... Depuis qu'on se connait.

Le silence s'appesantit. Martin a le don de me renvoyer à mon passé. J'imagine qu'il ne veut pas me blesser, simplement me rappeler d'où je viens. Il imagine peut-être que je me prends pour un roi avec mes 75 000 fans sur twitter et presque autant sur instagram. C'est faux. Je sais qui je suis. Peut-être un peu trop.

— Okay. Bon tu me tiens au courant alors. Je te laisse, j'ai une journée chargée. Et avale pas toutes les merdes médicamenteuses qu'ils vont te proposer !

— Ne t'en fais pas...

Je soupire. Pour le moment, on ne m'a rien proposé puisque rien n'a été prescrit. Je n'ai pas eu le cœur de lui demander de me ramener quelques affaires. Je survivrai bien trois jours comme ça.

Le soleil d'octobre inonde les pelouses encore vertes. J'estime qu'il fait encore au moins vingt degrés. Je suis pris d'une brusque envie de faire un jogging mais je me souviens que si je trempe mes habits de sueur, je devrais le supporter jusque lundi soir. Mauvaise idée.

Ça me frustre. Je n'ai rien à faire. Je suis le genre de type à m'ennuyer très vite, et le vide béant de ma vie sociale me saute à la figure. Je n'ai que mon téléphone sur moi, et pour la plupart des gens, c'est suffisant. Mais alors que je viens de raccrocher avec mon agent, je me rends compte que je n'ai personne à qui parler, à qui confier mes craintes. Personne pour rire de cette situation grotesque. Mon écran affiche pourtant un tas de discussion. Des notifications twitter, instagram et grindr. Je n'ai même pas besoin de les ouvrir pour en deviner le contenu.

« T'es mon préféré » « envoie ton snap » « montre ta queue » « je me branle sur toi » « je rêve de te sucer »

Ça ne me fait plus rien. Je crois. Si on s'en tient à la psychologie de comptoir, le fait que je lève les yeux au ciel note un certain agacement. Mais je veux dire... Je ne ressens plus cette colère. J'ai signé un contrat pour devenir un objet. Je ne m'appartiens plus. Je suis un corps, je représente le désir, l'envie, la luxure. Je ne suis plus un visage depuis bien longtemps. Je suis un pénis et une paire de fesses. Point barre.

D'habitude, je n'ai pas le temps d'y penser. Ou peut-être que je ne m'offre pas le temps de penser parce que je sais quel type d'idées me traversent alors. C'est idiot. J'ai vingt-cinq ans. J'ai à peu près tout pour être heureux. J'ai assez d'argent pour être heureux sans être riche. Je voyage. Je suis servi niveau sexualité. En réalité, la seule chose qu'il pourrait me manquer, c'est...

Les reflets de papier - [MxM] - [ÉDITÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant