𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 1 : 𝑳'𝒆𝒏𝒕𝒆𝒓𝒓𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕

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Astrid est morte.

Cette pensée a commencé à se diffuser dans mes veines comme un fluide glacé en ouvrant la porte. Je suis tombée nez à nez avec un soldat que je n'avais jamais vu avant. Il pleuvait des cordes. Sa cape trempée lui tombait lourdement devant le visage. Un courant d'air frigorifique m'embrassa toute entière, glissa dans mes vêtements, hérissa mes poils.

Je restais figée sur le palier à fixer cet étranger sans esquisser le moindre mouvement.

Il haletait, et dû retrouver son souffle pour demander gravement, chassant du dos de la main une cascade qui lui dévalait la pommette : "Vous êtes Zia Cole ?"

Je serrais la poignée de la porte du poing, retenant ma respiration.

Mais déjà, je savais.

"Que voulez-vous ?"

À ma question, l'homme se mit à chercher maladroitement quelque chose dans ses vêtements. Il dût s'y reprendre à plusieurs fois pour sortir un bout de papier froissé et humide d'une poche. Je croisais son regard terne lorsqu'il me la tendit. Sa main tremblait un peu.

Je m'en saisis vivement. Mon cœur loupa quelques battements en voyant le sceau de cire rouge gravé de deux ailes entrecroisées. L'encre délavée donnait au papier un air de deuil.

Astrid.

Je fis signe au soldat d'entrer et jetai la lettre sur la table sans même l'ouvrir. Il retira sa cape verdâtre avec soulagement en pénétrant dans la pièce à vivre et laissa apparaître un visage trop jeune, trop doux. Je lui donnais la vingtaine ; peut-être moins. Ses cheveux châtains avaient été maltraités par l'humidité. Sa peau était salie de crasse. Mais ce qui me marqua fut son regard : deux orbes vides, abattue, qui ne reflétait qu'une fatigue terrassante.

Je lui tirais une chaise près du feu brûlant encore dans la cheminée en ce printemps capricieux.

"Je vous sers quelque chose ? demandais-je.
⁡- De l'eau, merci."

Je remplis son gobelet, avant de sortir une bouteille d'absinthe. Je me sentais absente, confuse. Le soldat lui-même restait silencieux, le regard perdu dans les flammes. Mon verre d'alcool se vida d'une goulée. J'essuyai le coin de ma lèvre, avant de questionner par politesse : "Au fait, vous êtes ?
⁡- Moblit Berner. Je suis de l'escouade du caporal Astrid."

Il eut une drôle d'expression, comme s'il s'apprêtait à ajouter quelque chose, mais se ravisa en pinçant la bouche. Le visage sombre qu'il affichait confirma mes doutes.

Elle était définitivement morte.

Le contenu de mon verre disparut aussi vite que le premier. Si le fort goût herbeux m'avait d'abord fait amèrement grimacer, il m'anesthésia vite la gorge. Je me concentrais sur cette sensation de toutes mes forces, comme si elle pouvait me transporter ailleurs, dans un endroit où il n'y aurait pas cette puanteur de vieux sang humide ni cette lettre froissée sur la table.

Cette situation me semblait absurde. J'avais toujours su qu'elle se produirait. Nous avions répété maintes et maintes fois les étapes à suivre. Pourtant, maintenant qu'il était venu le temps de la pratique, je me trouvais hors de mes propres pensées, comme dans un rêve aux contours flous.

Astrid ne serait pas là pour me corriger si je ratais une étape, cette fois.

Ma priorité était la lettre. Étonnement, elle m'était adressée. Une jolie écriture qui avait bavée en prenant l'eau indiquait : "À Zia et Logan Cole". Je trouvais étonnant qu'ils se soient trompés. Peut-être une volonté de son testament.

Cette pensée me souleva l'estomac.

Les craquements de l'escalier me firent sursauter. J'avalais de travers la gorgée de liqueur que je m'apprêtais à engloutir. L'alcool m'arracha une quinte de toux brûlante. Le soldat du bataillon se redressa.

𝐂𝐡𝐫𝐨𝐧𝐢𝐜𝐥𝐞𝐬 𝐨𝐟 𝐙𝐢𝐚 || 𝐿𝑖𝑣𝑎𝑖 𝑥 𝑜𝑐Where stories live. Discover now