gone away

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      Assis sur sa chaise de bureau, il fixait cette enveloppe depuis de longues minutes déjà, de longues minutes, de longues heures, il ne savait plus très bien. Il avait décidé qu'après trois mois passés à ignorer cette lettre, aujourd'hui serait le jour. Cette date, le vingt-cinquième jour du troisième mois de l'année, c'était aujourd'hui, et il lui avait semblé, il y a trois mois de cela, que ce jour, cette date si symbolique, serait le jour J. Seulement, il était arrivé bien trop vite, bien trop tôt.
      Trois mois que l'amour de sa vie avait mis fin à leur relation, trois mois que sa vie était devenue monotone et maussade, triste et mélancolique. L'hiver était passé, le printemps s'installait, il était temps. Une fois qu'il aurait lu le contenu de la lettre, plus rien ne le relierait encore à celui avec qui il aurait aimé finir sa vie, celui qu'il aurait voulu emmener au bout du monde, celui pour qui il aurait pu décrocher la lune et toutes les étoiles du ciel de la nuit qu'il aimait tant. C'était la définitive fin d'eux, mais il fallait le faire, autrement, il ne pourrait jamais aller de l'avant.

Comme si j'en étais capable, d'aller de l'avant.

      Il s'en sentait incapable, mais une part de lui voulait croire les mots de son ami, qui essayaient de le persuader qu'il allait avancer, qu'il allait oublier et aller mieux. Il voulait désespérément y croire, et cette attente, cette torture qu'il s'infligeait seul et à lui-même, mais peut-être qu'il le méritait. Peut-être qu'il méritait cette douleur après tout ce qui s'était passé, il méritait certainement de subir cette souffrance après tout ce que l'amour de sa vie avait dû endurer.
      Alors, comme pour se châtier un peu plus longtemps, il attendit une heure supplémentaire, peut-être une ou deux, et il se rendit compte du temps qui avait passé depuis qu'il s'était installé sur cette chaise, puisque le Soleil avait disparu du ciel, et la nuit l'avait remplacé. Aussi, son ventre criait famine, son estomac gargouillait en supplication d'un repas, mais il se refusait à quitter cet endroit tant qu'il n'aurait pas fini la lecture.

      Sa petite main tremblante attrapa l'enveloppe blanche et il l'ouvrit délicatement, faisant le plus possible attention à l'état de l'enveloppe qu'il voulait absolument préserver. Il ne voulait pas l'abîmer comme il avait pu abîmer l'homme qu'il aimait. À ses yeux, c'était important de ne pas déchirer la dernière chose qu'il avait de lui, il l'avait déjà suffisamment endommagé lui, alors prendre soin de ce dernier objet qui venait de lui lui donnait l'impression de se rattraper, de se racheter pour son passé.
      La lettre face à lui, il sentait les larmes inonder ses beaux yeux bruns au-dessous desquels régnaient des cernes violâtres, des marques de fatigue étaient visibles sur la totalité de son visage pourtant si beau, si jeune. Minho était physiquement abîmé par tout ce qui avait pu arriver, et il était le seul à pouvoir blâmer.
      Il souffla un grand coup, comme si une grande bouffée d'oxygène lui donnerait le courage manquant de lire ces mots qui lui déchireraient l'âme et le cœur.

Minho, mon cher Minho,
Tu es certainement la personne la mieux placée pour savoir que j'ai toujours su mieux m'exprimer à travers l'écrit que l'oral. Tu es certainement la personne la mieux placée pour savoir combien j'aime ces lettres d'amour, ces lettres renfermant la joie et l'affection, et tu es très certainement la personne la mieux placée pour savoir combien je hais ces lettres d'adieux. Je les hais, mais voilà que je me retrouve face au bureau de ce qui fut notre chambre à t'en écrire une. S'il y a bien une personne à qui j'aurais aimé ne jamais en écrire, c'est bien toi, seulement le temps nous surprend, les gens changent, les choses également, et on ne peut pas tout contrôler.
Lorsque tu liras ces mots, je ne serai déjà plus là, j'aurai quitté la Corée, l'appartement de notre amour, la ville de nos souvenirs, notre vie. Les choses sont plus simples ainsi, j'en ai bien peur. Je suis navré de ne te laisser aucun moyen de me répondre, aucun moyen de t'expliquer davantage, aucune chance de me dire ce que tu ressens, mais je ne suis humainement pas capable de recevoir quoi que ce soit de toi une fois encore.
Depuis le jour où nous nous sommes embrassés pour la première fois, je t'aime, je t'ai aimé chaque instant de ma vie depuis mes quinze ans, je t'ai aimé si fort et chaque battement de mon cœur existait pour toi. Tu étais la raison pour laquelle je souriais, riais, m'amusais, mangeais, respirais et vivais. Je ne t'apprends rien, tu savais mieux que personne mes problèmes de dépendance affective.
Tu es si rapidement devenu le centre de mon monde, la chose la plus précieuse à mes yeux, et j'étais heureux de ne pas avoir cette peur constante de te perdre. Nous avions ça, cette confiance aveugle l'un en l'autre. Nous avions.
J'ai vécu les plus belles années de ma vie à tes côtés et bien que tout soit fini, je doute que qui que ce soit sur cette planète puisse un jour me faire sentir aussi bien que tu l'as fait. Tu étais mon âme-sœur et tu le seras pour toujours et à jamais. Je ne veux jamais t'oublier, et je ne t'oublierai jamais. Je suis animé par ce désir qui me consume tout entier, celui de me souvenir de toi dans mes derniers instants, de tes rires, de ce sourire que tu as hérité de ta mère, de tes cheveux soyeux, de tes petits doigts que j'aimais tenir, de cette cicatrice que j'ai si souvent effleurée, de ton cou que j'embrassais, de tes bras qui m'entouraient, de ton corps tout entier et de la chaleur qui s'en dégageait, qui m'a soutenu et aidé à tenir dans un monde qui me terrifiait. Tu as toujours été plus beau et parfait que n'importe quelle sculpture, n'importe quelle œuvre d'art, mais la chose qui me manquera le plus de toi est sans aucun doute ton âme. Tu as l'âme la plus douce et tendre, chaleureuse et accueillante, la plus réconfortante et parfaite des âmes qui ont existées et qui existera.
Mon amour, si tu savais comme j'aurais aimé que rien ne change, que nous restions à jamais ces adolescents insouciants et innocents, peut-être un peu irresponsables. Si seulement le temps s'était figé pour que nous vivions et nous nous aimions toute une éternité, pourquoi pas deux, d'éternités, pourquoi pas mille ? J'aurais tant souhaité que le temps nous laisse l'occasion de nous aimer jusqu'à la fin des temps et au-delà.
Pourquoi y'a-t-il fallu qu'en plus de devenir le centre de mon monde tu deviennes le centre du monde de tant d'autres ? N'étais-je pas suffisant ? N'ai-je pas été assez bon ? L'amour que je t'ai donné ne t'a-t-il pas suffi ? Pourquoi, Minho ?
Je me rends compte combien je suis ridicule en écrivant ces mots, c'est égoïste et pitoyable de te reprocher d'avoir connu le succès quand j'en ai moi-même profité. Je te reproche d'avoir été sous la lumière des projecteurs quand j'y ai moi-même été, mais c'est différent. Moi, personne ne sait qui je suis. Le monde ne connait de moi qu'un pseudonyme, rien de concret, rien de réel. Il me suffit de verrouiller mon téléphone pour que tout ne soit fini, pour que tout semble n'avoir été qu'une illusion. Pour toi, les choses étaient différentes, les gens connaissaient ton nom et ton visage, les gens n'aimaient pas de toi une illusion mais bel et bien une réalité.
Je suis heureux que les choses se soient si bien passées pour toi, mon ange, je suis tellement heureux, seulement tout cela était plus que je ne pouvais supporter. Je n'étais plus le centre de ton monde comme j'avais pris la confortable et agréable habitude de l'être. Ce n'est pas ta faute, ce ne sera jamais ta faute, Minho, et je suis si désolé que tu doives en pâtir, mais je t'assure, les choses iront mieux.
J'aimerais que des mots existent pour te dire combien je t'aime, combien je suis désolé de la peine que notre rupture va te causer. Aucun mot n'est assez fort pour te le montrer, et j'ose espérer que tu t'en remettras vite, aussi vite que possible. Je sais que tu vas y arriver, parce que tu as la force de tout supporter, la force de te relever de tout, et je n'aurais été qu'un chapitre dans l'histoire de ta vie au final.
Tu resteras durant des années la personne la plus chère à mon cœur, peut-être même jusqu'à ma fin, et ces huit années d'amour que nous avons passées ensemble sont inoubliables, elles ont été délicieuses et je remercierai chaque jour le ciel de m'avoir donné ces merveilleuses années à tes côtés. La vie sera bien fade désormais, sans toi à mes côtés.
Je t'en prie, ne cherche pas à me contacter, j'ai besoin de temps pour m'habituer à ton absence, pour m'habituer au fait que jamais plus tu ne pourras être mon repère et ma raison de vivre.
Je t'en prie, sois heureux, le plus heureux de tous, le plus radieux et le meilleur, comme tu l'as toujours été. Je te supplie à genoux, ne m'oublie pas, n'oublie pas notre amour et notre histoire qui aura été la plus belle de toute. Jamais aucune histoire ne pourra arriver à la cheville de celle que nous avons vécu. Merci d'avoir été si parfait, de m'avoir sauvé tant de fois, merci d'exister, merci de m'avoir aimé.
Merci pour tout, Lee Minho, et n'oublie jamais que je t'aime plus que tout, plus que ma vie, plus que le monde, je t'aime depuis le premier jour et je t'aime pour toujours et à jamais, je t'aime pour des milliards d'années. Je ne cesserai jamais de t'aimer, je n'oublierai jamais rien de toi. Sois heureux, je t'embrasse.
Adieu,
Sincèrement,
Han Jisung.

Le papier blanc se froissa entre ses doigts, pendant que ses larmes venaient s'échouer sur les pages, rejoignant les marques de celles de son ancien amant, faisant baver un peu l'encre bleue qui dessinait les lettres, cette encre déjà abîmée par les pleurs du garçon qui l'avait déposée là. C'était si douloureux, de lire ses derniers mots, entachés de sa tristesse. C'était affreux, comme dernière image.
      La vue brouillée par ses larmes qui ne cessaient de rouler le long de ses joues, il regardait la lettre qu'il tenait toujours entre ses doigts, et la peine s'intensifiait à chaque seconde. Jisung n'avait jamais eu la plus belle des écritures, si l'on parlait de manière objective, mais elle était la plus belle aux yeux amoureux du jeune homme. La voir une fois encore lui rappelait que jamais plus il ne lirait ses petits mots accrochés sur leur réfrigérateur, accrochés par des magnets. Non, plus jamais il n'en lirait.

      La pièce était emplie par les sanglots qu'il ne pouvait retenir, il ne savait plus quoi faire. Il s'était bien trompé, en écrivant cette lettre, il n'avait pas la force d'avancer, de se relever de la chute qu'avait causé son départ, et par dessus tout, il n'était pas qu'un simple chapitre dans l'histoire de la vie de Minho.
      Il se sentait comme le plus pathétique des hommes, et la douleur qui consumait son être lui semblait être la parfaite punition, car après tout, ce n'était que le retour de flamme de la peine qui avait brûlé en Jisung.
      Comment avait-il pu laisser celui qu'il aimait, celui qu'il aimerait pour toujours, souffrir sans même s'en rendre compte ? Comment avait-il pu le laisser croire qu'il avait perdu sa place de centre de son monde ? Rien ne pourrait jamais prendre sa place, rien, car son monde était fade, sans saveur, dénué d'intérêt, s'il n'y était plus. Le film de sa vie n'avait plus rien d'attirant si le premier rôle n'était plus.

      Après être resté assis à pleurer jusqu'à s'en retrouver déshydraté, il replia avec soin les pages de papier pour les glisser à nouveau dans l'enveloppe, qu'il rangea dans le tiroir, comme si ne plus la voir atténuerait sa tristesse. Il se disait que, peut-être, s'il la rangeait et l'oubliait —Encore faudrait-il qu'il parvienne à l'oublier—, il pourrait se dire qu'elle n'avait été que le pur fruit de son imagination, comme s'il ne l'avait pas tenue entre ses doigts. Peut-être que gommer son existence de sa mémoire lui permettrait d'avancer, parce que maintenant qu'il avait lu chaque mot écrit avec soin, tout ce qu'il voulait, c'était oublier.

before you left ; minsungOù les histoires vivent. Découvrez maintenant