Vie après vie

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— Où on va ?

— Je te l'ai dit, tu vas découvrir mon monde. Après tout, j'ai visité ta chambre, il est normal que tu découvres la mienne.

Je fronce les sourcils, suspicieuse.

— Et vous avez le droit de faire venir des filles ?

— Bien sûr... que non, s'amuse Samuel. Mais je pensais avoir été clair dans mes relations avec les règles... je n'en respecte aucune.

Je ne réponds rien, bien trop occupée à essayer de ne pas tomber contre un inconnu dans le bus bondé. Nous sommes en vacances scolaires, j'avais osé espérer trouver une place assise et passer le chemin tranquillement installée à côté de Sam. La poisse ! Je me retrouve à essayer de survivre au milieu d'inconnus qui tentent vainement d'éviter les contacts physiques avec les parfaits inconnus que nous sommes les uns pour les autres. Samuel s'excuse sans cesse : une femme, âgée d'une quarantaine d'années, est la victime des mouvements du véhicule. Je souris à pleine dents en remarquant le rouge qui monte aux joues de mon accompagnateur. Un choc épaule-mâchoire suit un percutant tête poitrine de la femme qui se confond en excuses. Je pense qu'elle n'est pas insensible au charme du garçon car elle fuit son regard. J'ignore pourquoi, je ressens une pointe de jalousie envers cette personne qui a l'opportunité de s'approcher de Samuel sans qu'il ne la repousse durement, comme il l'a fait avec moi. Mon seul et unique choc avec Samuel m'a perturbé car si je me suis amusée à repousser Samuel en plaçant la paume de mes mains contre son torse, lui m'a saisie par les épaules et m'a placée face contre la fenêtre, suffisamment éloignée de lui pour ne plus le toucher.

Le bus finit par arriver et je joue des coudes pour en descendre. J'inspire profondément avant d'expirer l'air frais mais libérateur de l'extérieur.

— C'est par là, m'annonce Samuel en m'indiquant un vieux bâtiment à quelques pas de l'arrêt de bus.

Un vieux portail rouillé avec des traces de peintures persistantes m'indique qu'à la belle époque de la bâtisse, les battants devaient être noirs et impressionnants. Aujourd'hui, de lourdes chaînes empêchent les deux côtés de se rencontrer, comme si elle me souhaitait la bienvenue. Je m'approche lentement, effrayée. Le foyer s'élève sur trois étages, la façade, partiellement décrépie, me paraît suffisamment glauque pour servir de lieu de tournage pour un film d'horreur. J'hésite à avancer, subitement repoussée par l'endroit.

Je n'ai jamais mis les pieds sur le lieu de travail de ma mère et je sais qu'elle n'apprécierait pas me surprendre ici. Pourtant, le demi-sourire de Samuel me convainc de le suivre. Il contourne le bâtiment et me fait approcher d'une petite porte dérobée, pratiquement invisible. Je m'étonne de voir Samuel s'approcher d'un très vieux pot de fleur, creuser à mains nues la terre avant d'en retirer une petite clé. Il s'amuse de mon air surpris et pose son index sur ses lèvres pour me demander le silence. Je le suis sans piper mot.

Mon compagnon marche à pas feutrés, quelques mètres devant moi. Je reste dans l'ombre d'un mur en attendant son appel. Sam, d'un geste de la main, me fait le rejoindre. Nous gravissons ainsi, tels des agents secrets, les trois étages. Nous croisons quelques adolescents mais aucun ne nous prête attention. La chambre de Samuel se trouve tout au fond du couloir, évidemment, bien à l'écart de celles des autres.

Je sursaute lorsque Samuel claque la porte derrière moi. Le garçon se déplace lentement et s'assoit sur une chaise, placée derrière un bureau d'étudiant. J'observe la pièce dans laquelle je me trouve. Je remarque rapidement qu'elle ne comporte que le minimum d'ameublement : deux lits superposés, un bureau, une chaise, deux armoires murales. La peinture sur les murs est écaillée et totalement absente sur certaines parties. Aucun poster, aucune photo, rien qui puisse personnaliser la chambre. Je demande d'un geste de la tête l'autorisation de m'asseoir sur le lit. Samuel acquiesce et je prends place.

Damnatio MemoriaeWhere stories live. Discover now