Deux diffents univers

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Luna n'était pas une adolescente comme les autres.
Ou, dans tous les cas, elle n'aimait pas ce que les gens de son âge étaient supposés apprécier.
Elle l'aurait bien voulu, elle, cela lui aurait épargné des années de mépris pour sa soi-disante "bizarrerie", des litanies de reproches sur son comportement "inapproprié".
Luna, ce qu'elle aimait, c'était l'aventure, le dessin, et créait tout ce dont elle était capable d'imaginer.
Elle était d'ailleurs dotée d'une vaste imagination que sa famille n'appréciait guère. Une rêveuse sans pareilles, avec d'innombrables ambitions et un optimisme rayonnant.

Au milieu de tout ce qu'elle chérissait se trouvaient les crayons à papier, l'odeur des fleurs (en particulier celle qui se dégageait des champs de lys) la musique qui battait à fond dans ses tympans et les films qu'elle allait emprunter en cachette au vidéo club.
Pour une raison ou une autre, la magie l'avait toujours fascinée. Tous ces univers fictionnels et cette puissance surnaturel ne la laissaient pas indifférente.
On la surnommait souvent "la magicienne" et, chaque fois que son nom trouvait place dans une sentence, venaient nécessairement les adjectifs "créative" ou "imaginative".

Du côté de ce qu'elle détestait régnaient l'empire maléfique des brocolis.
Ces petits légumes verts lui donnaient une affreuse envie de vomir et ne lui faisait penser qu'à un arbre coupé qui avait fâcheusement péri. Il y avait également ces endroits bondés de gens dans lesquels elle avait l'impression de s'asphyxier.
Et par-dessus tout, Luna haïssait suivre les règles que ses parents lui imposaient, ses proches lui imposaient (bien qu'elle n'en possédait pas un grand nombre), celles que la médiocre société lui prescrivait d'obéir à la lettre.

Têtue, bornée, si vous voulez, mais comment ne pas l'être dans un monde où trône l'absurdité ?

Il ne fallait pas être trop bruyante, trop enfantine ; trop ambitieuse car elle était une fille. On devait avoir de bonnes notes, pour son cas à elle, éviter toute études supérieures, juste celles qui lui serviraient pour élever des enfants et nourrir sa future famille. Il fallait être assez maigre pour rentrer dans les critères de beauté, mais pas trop non plus, si non l'on renvoyait une image de malade.
Assez sociable pour ne pas passer pour "un ou une coincée" mais si l'on l'était un peu trop c'était pour un ou une "chercheuse d'attention" qu'on se faisait passer.
Et tellement de choses plus insensées les unes que les autres. Il fallait être parfait.

Luna ne pouvait s'abstenir de trouver tout cela au sommet de la ridiculité.
Pourtant, sa haine à l'égard de ces gens ne l'empêchait pas de trouver au monde une allure magnifique. L'univers dans lequel elle vivait lui semblait rempli d'opportunités et d'aventures mais bien trop coincé dans une cage traditionnelle et routinière, fermée à double tours à tout ce qu'il l'entourait.
La société, c'était elle qui avait créé cette boite et qui refusait catégoriquement d'accepter la différence d'autrui. La plupart des gens lui semblaient être de purs idiots.
Mais bien que vivant dans une solitude omniprésente, son petit monde à elle trouvait grâce à ses yeux et la faisait rêver car elle était persuadée que sa vérité était la bonne.

Bien au contraire, sa sœur jumelle Athia, n'était pas sur la même longueur d'onde.
Elle restait souvent dans son coin à lire d'innombrables livres sur la mort et la tragédie, à propos de ces histoires de meurtriers et de destins funestes. Son univers n'était nullement apprécié par Luna qui interprétait la mort comme un sujet bien maussade.
Athia n'aimait personne, enfin c'est ce qu'elle prétendait...Ni son entourage, ni ses parents, ni même sa sœur avec qui elle partageait sa date de naissance.

Chez elle, prendre la parole était rarissime, non pas par timidité mais car elle n'en éprouvait tout simplement pas l'envie. Sa boisson préférée était le café noir, sans sucre, sans lait, d'une sombre couleur intense. Même après des discussions effrénées sur ce sujet, Luna ne parvenait pas à comprendre son amour pour cette boisson âcre dont l'amertume la rendait imbuvable.
Son humour noir et son sarcasme étaient ses plus belles qualités bien que ne manquant pas d'audace. Lorsque quelque chose lui était ordonnée, elle se contentait d'y adhérer sans protester.

Quant à leurs apparences, elles étaient mystérieusement tout aussi différentes que leurs personnalités.
Luna possédait de courts cheveux châtains, ondulés et volumineux,qu'elle adorait ornés de fleurs artificielles de toutes les couleurs. Ses yeux étaient d'un marron basique mais profond, dont la couleur reflétait celle des feuilles mortes volants dans les rues d'un après-midi d'automne. Son teint était lisse et blanc, parsemé de quelques taches de rousseurs en dessous des yeux et longeant le bout de son nez.
Elle était plutôt mince, d'une taille moyenne et avait sur le haut de son bras une grosse tache de naissance.
Athia bénificait de longs cheveux blonds aussi raide qu'une planche de bois, elle rêvait de les teindre en noir ou ne serait-ce que de les couper mais ses parents tenaient absoluement à les préserver.
Son nez était fin, aucun signe de taches de rousseurs n'apparaissait sur son visage. Ses yeux, d'un bleu marin scintillant.
Blonde aux yeux bleus, leurs parents n'auraient pas pu rêver mieux.
Au niveau du physique, les seules choses qu'elle partageait avec sa jumelle étaient sa taille ainsi que sa corpulence.
Pour Luna, leurs parents avaient toujours préféré Athia pour sa beauté et son obéissance, mais d'un autre côté, c'était un fardeau pour la blonde car sa liberté s'en trouvait plus restreinte.

Par exemple, dès que ceux-ci mettaient la main sur l'un de ses livres, ils le brûlaient immédiatement en les jetant dans les flammes ardentes la cheminée sous l'expression désemparé qui s'affichait sur le visage d'Athia. A force, elle avait pris l'habitude de ne pas les lire en leurs présences et de les fourrer dans chaque petite cachette de sa chambre. De temps en temps, Athia implorait sa jumelle de les cacher dans sa chambre à elle car ses parents ne la fouilleaient jamais.
Leurs géniteurs avaient pour rêve de faire d'Athia une véritable princesse, destinée un beau jour à épouser un prince et à opiner sagement de la tête lorsque celui-ci lui proclamera un ordre. Luna doutait grandement que la blonde puisse adhérer à ce destin morbide.
La seule attention qu'ils prêtaient à Luna était celle qui suscite à l'intérêt de son niveau scolaire et à son comportement à l'école. Et c'était tout. Pas d'inquiétude sur ce qu'elle aimait, ses plus grands rêves, ses passions...
Non, de toute façon les ambitions étaient réservées aux hommes.

On ne pouvait pas dire que la magicienne était véritablement jalouse de sa soeur mais elle avait cette affreuse impression d'être le canard noir au mileu des cygnes majestueux.
Ce sentiment la rongeait constamment et il ne faisait que s'amplifier lorsqu'elle entendait toutes les questions dont ils assommaient Athia lorsqu'elle rentrait des cours .
Et c'était peut être pour cette raison que la relation des deux sœurs se résumait à de brefs salut lorsqu'elles se croisaient et- quand elles étaient de bonne humeur- à des "bonne nuit" avant d'aller se coucher.
Ou peut-être était-ce dû au besoin d'Athia de n'adresser un mot à personne.
Bref, on ne pouvait pas dire qu'elle étaient les meilleures amies du monde.

Jusqu'à que tout prenne une autre tournure.
Il fallait être parfait, n'oubliez pas.
C'est donc tout naturellement que lorsque la nouvelle d'un pensionnat ayant pour but de rendre les étudiants parfaits ouvrant ses portes au plein cœur de l'Angleterre éclata, tous les parents ou tuteurs n'hésitèrent pas une seule seconde à y envoyer leurs enfants.
Et ceux de Luna et Athia ne firent pas exception.
Être parfait, cela voulait dire d'exceller dans tous les domaines. Que tout reste dans la tradition, les garçons devaient devenir des soldats, apprendre à se battre, devenir des hommes.
Les filles devaient se contenter d'être de futur bonnes épouses et tout le monde était content.
Être parfait n'avait rien de très tentant.
Mais voilà que du jour au lendemain, qu'elles le veuillent ou non, Luna et Athia allaient devoir suivre les cours dans cet établissement.
Et même avec une imagination hors du commun, Luna était loin d'imaginer ce qui l'attendait là-bas...

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