𝗖𝗵𝗮𝗽𝗶𝘁𝗿𝗲 𝗗𝗲𝘂𝘅

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Octobre 2011.

Je cours en hurlant au milieu du couloir pour éloigner les gens. Il faut que j'atteigne ma destination au plus vite ; je suis en retard, donc je ne prends garde à personne. Alors évidemment ça ne plaît pas à certains qui se permettent de crier fort lorsque je leur fonce dessus ou leur frappe les tibias. Mais je n'ai pas le temps d'écouter leurs complaintes. Je dois filer.

« J'ai manqué quoi ? »

Ami relève des yeux las de son livre sur la mythologie grecque à mon arrivée. Je vois même pas pourquoi elle tient un livre celle-là d'ailleurs : elle est la première à envoyer les résumés wikipédias des romans qu'on doit lire en cours sur le groupe de classe. Mais bon, comme j'en ai un peu rien à faire des passes-temps d'Ami, je ne fais pas de commentaire. Elle désigne du menton le terrain de sport.

« Rien. Il y a aucune action, c'est ennuyeux. »

Ça explique mieux le livre. Je cherche Minori du regard, mais il ne me faut pas longtemps pour la repérer avec sa teinture rose foncé - je lui répète tous les jours que cette couleur est horrible, mais Minori n'est pas du genre à écouter les conseils de bonne amie que je lui offre. Celle-ci me sourit avant de reporter attention à son positionnement. La batte en arrière, elle s'apprête à tirer dans la balle lancée par la lançeuse ou je ne sais qui.

Oui, ma meilleure amie fait partie de l'équipe scolaire de baseball féminin, et vous penserez ce que vous voulez mais c'est assez cool. Bon, le seul truc, c'est que j'ai jamais compris les règles. Là par exemple, elle shoot dans la balle et puis l'autre équipe essaye de la rattraper le nez en l'air. Pendant ce temps, du côté de l'équipe de Minori, c'est le bazar complet : il y en a qui hurlent sans bouger, d'autres qui courent à toute vitesse mais pas en ligne droite et tous en même temps, et l'équipe adverse ne tente même pas de les arrêter, franchement c'est quoi ce sport ?

L'arbitre siffle et je devine grâce aux acclamations que c'est la fin du match. Alors j'applaudis comme un mouton en même temps que les autres.

« Vous avez vu comment j'ai pris toutes les bases dans les dernières minutes ? » s'exclame Minori d'un ton enthousiaste mais essoufflé, appuyée contre la barrière où nous sommes accoudées avec Ami.

« Ah, euh ouais, dis-je en faisant semblant d'avoir fait le rapprochement entre ses mots et les joueuses qui courraient partout. C'était dément, bien joué. »

Ami sourit en coin derrière ses pages de mythologie sans relever les yeux ; elle sait à quel point je suis peu calée sur le sujet. Mais Minori ne semble avoir rien remarqué. Comme d'habitude, elle répète le jeu de son point de vue entre une ou deux gorgées de sa gourde.

« Ce n'est que le début, continue ma meilleure amie en pensant qu'on l'écoute encore, mais bientôt j'atteindrai mon objectif : les Nationales ! »

« Rêve pas trop, lui disai-je avec un sourire carnassier. Un objectif comme ça, c'est surréaliste, attends-toi à être déçue. »

Minori fait sa moue, celle qui veut dire qu'elle est à la fois exaspérée du discours d'en face et amusée qu'on puisse la sous-estimer.

« Tu es si pessimiste, Taiga ! »

Je hausse des épaules. Après tout, elle a pas tort, je vais pas la contredire.

« En tout cas moi, mon objectif, il est bien plus réaliste que le tien. »

Ce n'étaient pas mes mots, mais ceux d'Ami. On se tourne vers elle avec Minori ; Ami a enfin fermé son livre de divinités mystiques mais elle ne nous regarde pas.

𝗟𝘂𝗰𝗸𝘆 𝗢𝗻𝗲𝘀Where stories live. Discover now