XXXVI. 24 février 1941 - la traîtresse

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Dorea plongea les fleurs dans le vase, fière du résultat. Les roses que lui avait offertes Charles ce matin étaient les plus belles qu'elle n'ait jamais vu. "Rouge comme le coeur que je t'ai donné" lui avait-il chuchoté à l'oreille. Elle avait rougi puis, avant qu'elle n'ait pu prononcer le mot "merci", il était parti. De son index, elle caressa le pétale pourpre. Le bonheur innondait son âme. Elle n'avait jamais cru ressentir autant d'émotions positives, voir l'avenir en éclat, aux côtés de celui qu'elle aimait. Parfois, elle se demandait si tout n'était qu'un rêve.

Mais non.

Il avait vraiment prononcé ses voeux, alors que son regard plongeait dans le sien. Il lui avait enfilé la bague au doigt, un anneau serti de rubis. Ils l'avait invité à danser, tourbilloner et tourner jusqu'à ce que les violons soient fatigués de chanter. Puis le soir, protégés derrière les épais rideaux de feutre, il lui avait lentement retiré sa robe. Ses mains avaient couru sur sa peau, ses baisers avaient apaisés sa douleur au moment de la perte de sa virginité. Elle l'avait senti en lui, comme une part de son âme. Le temps s'était suspendu tandis qu'elle se perdait dans ses bras.

"C'est donc ça, l'amour", avait-elle pensé cette nuit-là.

Un sourire niais traversa son expression à ce souvenir. Elle était une femme, à présent. Une épouse, une Potter. Ils créeraient leur propre famille, connaîtraient toutes les difficultés qu'un couple affronte. Mais ils le feraient ensemble. Main dans la main.

Heureuse de la manière dont les roses s'accordaient avec la peinture du mur, elle s'écarta, contempla la décoration et s'en trouva satisfaite. Charles ne tarderait pas à rentrer, il en serait charmé. Peut-être que, pour exprimer sa joie, il lui écrirait un énième poème.

Soudain, un craquement dans le vestibule détourna son attention.

-Charles ?

Personne ne lui répondit. Il ne l'avait peut-être pas entendue. Décidée à accueillir son mari après sa difficile journée de travail, elle marcha jusqu'à l'entrée, désireuse de lui montrer la composition qu'elle venait de faire. Mais quand elle fit face à la porte, il n'y eut pas l'ombre d'un chat. Étonnée, elle se retourna sur elle-même.

Une main se plaqua sur sa bouche. Son hurlement fut étouffé. Ses ongles griffèrent le bras de l'agresseur, ses pieds battirent l'air. Ses yeux s'arrondirent dans la peur. Un éclat brilla sous la lumière diffuse de la fenêtre.

La lame s'enfonça dans son abdomen aussi facilement qu'un couteau dans un gâteau.

Une vague glaciale la parcourut. Son hurlement demeura prisonnier dans sa gorge.

La main se retira de sa bouche et elle s'effondra. Sa vue se flouta, puis le sol se mit à tanguer. Elle tendit sa main vers la silhouette sombre, mais guère loin. Sa respiration s'accéléra, devint haletante. L'effroi la saisit quand elle se rendit compte qu'elle ne pouvait plus respirer.

Elle allait mourir. Seule. Ici.

Ses doigts tremblants exercèrent une faible pression sur son abdomen. Immédiatement, ils s'enlisèrent dans un liquide chaud. La lame demeurait enfoncée, lui ôtant le dernier souffle de vie qui lui restait. Non. Pas maintenant. Pas alors que tout allait bien, pas alors qu'elle possédait le bonheur dans la main. Elle papillona des yeux, lutta pour rester consciente. Elle allait s'en sortir. C'était possible.

Des points noirs apparurent devant elle. Le sol l'entraîna dans un tourbillon vertigineux.

-...suppose que ma cousine est là, entendit-elle depuis l'arrière.

Charles. Il avait du rentrer par le jardin afin de ne pas contourner toute la bâtisse. Elle devait hurler. L'appeler.

Mais rien ne sortit de sa gorge.

Pouvoir - 𝔅𝔩𝔞𝔠𝔨 𝔖𝔢𝔯𝔦𝔢𝔰 IIWhere stories live. Discover now