La flamme pourpre

Chapitre 5

Le choc de cette révélation lui coupa le souffle aussi durement qu’un coup de poing dans l’estomac. En un instant, l’once de contrôle qu’elle était parvenue à reprendre sur elle-même lui échappa. Aspirée dans un abysse cauchemardesque qui menaçait de l'engloutir tout entière, elle prit conscience que sa présence ici ne devait rien au hasard. Elle n’était pas en train de rêver. Ce n'était pas une mauvaise blague. Tout ceci était bel et bien réel. Et comme si cela ne suffisait pas, sa présence semblait liée à quelque chose de terrifiant.

Loin, très loin, la voix de Paulin se fraya un passage jusqu’à elle. Luttant désespérément pour retrouver sa lucidité, la jeune femme s’efforça de donner du sens aux mots qui lui parvenaient. L'homme, mû par sa propre détresse, poursuivait son explication sans remarquer la lutte acharnée qui se déroulait sous ses yeux.
- Le garçon que tu as vu s'est montré très imprudent. Il s'est rendu en forêt, en pleine nuit, Dieu seul sait pourquoi ! Peut-on être aussi sot ?!

Paulin marqua un temps. Sa voix était calme mais il tremblait, animé par une violente colère qu’il tentait de contenir. A ses côtés, sa compagne détourna les yeux, l'air contrit. Lorsqu'il reprit, Léa eut le sentiment qu'il ne s'adressait plus vraiment à elle.

- Personne n'est autorisé à passer la nuit à l'extérieur du village, et surtout pas un gamin haut comme trois pommes aussi épais qu'un épi de blé ! acheva-t-il en haussant le ton.

Jeanne posa tendrement sa main sur le bras de son mari pour l'apaiser, laissa le silence revenir quelques secondes, puis prit la parole en indiquant la table :

- Léa, assieds-toi s’il-te-plaît.  

Obéissant mécaniquement, la jeune femme se dirigea vers le centre de la pièce et prit place sur l’un des tabourets branlants. Le couple s’installa face à elle avec des mouvements lents, comme pour retarder ce qui allait suivre.

- As-tu des enfants ? lui demanda Jeanne sans préambule, d’une voix douce teintée de tristesse.

Léa, toujours mutique, hocha la tête en signe de dénégation. A 26 ans, cette question s’était bien sûr invitée plusieurs fois dans ses réflexions existentielles, mais sans jamais aboutir à une réponse ferme et définitive. Il faut dire que la jeune femme s’était investie sans relâche dans sa carrière de bibliothécaire et, hormis quelques amourettes éphémères, sa vie amoureuse ne brillait pas par son intérêt. Loin d’en souffrir, elle savourait son indépendance et sa tranquillité. Et puis elle avait Chaussette… L’image de son fidèle matou surgit dans son esprit et sa gorge se noua. Est-ce que quelqu'un prenait soin de lui ? Attendait-il désespérément qu'elle rentre à la maison ? Se sentait-il abando…

- Nous avons une petite fille, continua Jeanne, coupant brutalement court à ses divagations. Notre adorable Alaïs… Ils nous l'ont prise il y a déjà quatre jours...

En prononçant ces mots, sa voix se brisa dans un sanglot. Paulin vint effleurer doucement les mains de sa compagne mais l'air s’électrisa, comme chargé de non-dits. Mal à l’aise, Léa demeurait immobile et silencieuse. Elle attendit patiemment que la jeune maman soit prête à poursuivre son histoire, craignant de la bousculer par un mot ou un geste déplacé.

“Elle a seulement 6 ans. Il y a quatre jours, je l’ai emmenée avec moi dans la forêt car nous avions besoin de branchages pour le feu. La nuit allait tomber mais nous n’en avions pas pour longtemps… J’ai même veillé à rester à l’orée du bois pour que nous soyons en sécurité !” se justifia-t-elle en jetant un œil en coin en direction de Paulin. A ses côtés, l’homme gardait les yeux rivés sur un nœud de la table, impassible. Si quelqu’un était entré dans la pièce à cet instant précis, il aurait probablement interprété cette attitude comme du désintérêt. Toutefois, l’indignation et l’emportement qu’il avait exprimés quelques minutes plus tôt témoignaient clairement qu’il n’en n’était rien.