Acte IV, scène 7

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L'aéronef prit de court ses occupants avec une accélération brusque. Hélios s'agrippa de justesse à l'armature. L'habitacle tremblait, traversé de vibrations aussi assourdissantes qu'inquiétantes : les moteurs tournaient à plein régime et le vaisseau donnait tout ce qu'il avait dans le ventre.

Cela suffirait-il pour distancer les poursuivants ?

En tout cas, l'équipage se préparait au pire. Il cavalait, les épaules chargées de magasins de munitions. Hélios déglutit.

Désœuvré, il suivit d'instinct Kosan et Lupin, quand Mila le tira par le col.

— Désolée Hélios, mais tu comprendras qu'il ne vaut mieux pas que tu vois nos manœuvres dans la salle de commandes. Cale-toi dans un coin où tu ne dérangeras pas et laisse-nous travailler.

L'acteur serra les dents ; à croire que Mila savourait cette vengeance mesquine après leur passif de rivaux. Pour autant, il ne broncha pas ni ne chercha à argumenter. Ils n'avaient pas le temps pour ça. Et elle avait raison.

Sauf qu'il n'y avait pas vraiment de « coin tranquille » à bord. Le zeppelin était conçu pour être redoutable et non confortable. Au contraire des transports de plaisance qui se contentaient d'une rangée de sièges sous une toile, l'engin militaire disposait d'une armature rigide et solide autour des réacteurs fragiles. Cette conception rendait l'intérieur tortueux et étroit.

Hélios trouva quand même une place entre deux arêtes verticales le long d'une coursive arrondie. De là, il avait vue sur les boxes des artilleurs. Les tourelles mitrailleuses s'alignaient sur chaque flanc du dirigeable. C'est lorsqu'il vit les sabords s'ouvrir qu'il comprit que la bataille serait inéluctable. Ses mains se crispèrent sur l'acier de la charpente.

Une première rafale de tirs fracassa la bête volante. Elle gémit de souffrance, se cabra, envoyant valser les insignifiantes fourmis qui l'habitaient. Hélios se cogna à la paroi sans douceur ; il encaissa. Les impacts venaient de bâbord. Il avait eu le nez creux en se terrant à tribord.

Le vaisseau des Traverseurs riposta, dans un fracas à assourdir les murs. Si quelqu'un avait hurlé quelque message d'évacuation à ce moment-là, le nouveau passager aurait bien été en peine de le comprendre. Mais personne ne cherchait à fuir, à se cacher ou se soustraire à sa tâche. Les Traverseurs faisaient face, désormais rodés aux escarmouches. Les affrontements se poursuivaient avec une intensité qu'Hélios devinait au rodéo du vaisseau.

Jusqu'à une embardée plus violente.

Un crissement du diable projeta une gerbe d'étincelle dans la coursive.

La tôle lâcha. Comme un rideau qu'on repliait pour le spectacle, l'habit de métal se froissa et dénuda l'aéronef. De ses yeux paniqués, Hélios contempla la brèche d'où un air cinglant s'engouffrait.

Le canyon ! On a touché le canyon !

La capitainerie avait dû envisager un repli dans la passe rocheuse pour se mettre à couvert. Hélas, manœuvrer dans une gorge tout en essuyant des tirs s'avérait plus délicat que prévu.

— À l'aide !

Malgré les gifles de l'air, malgré le vrombissement incessant, Hélios entendit le hurlement de détresse. Il baissa les yeux. La collision avait arraché le box d'artillerie à quelques mètres de lui. Son occupante s'accrochait à une tige précaire, les pieds suspendus dans le grand vide. Le cœur d'Hélios se retourna : la vision lui rappelait des blessures trop récentes. Mais la tireuse allait être emportée à la prochaine secousse s'il n'agissait pas !

Il ravala sa terreur et attendit que le dirigeable penche à droite. Il se laissa glisser sur les fesses — trop vite à son goût — et interrompit le dérapage en embrassant un pilier. Il grinça, mais ne se rompit pas. De là, accroché comme un macaque à sa branche, il étira le bras pour attraper celui de la jeune fille.

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