Chapitre 10

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Le petit-déjeuner animé de ce matin m'a laissé un arrière-goût amer – et je ne parle pas seulement de la confiture aigre que j'ai dû me forcer à terminer pour ne pas tourner de l'œil plus tard dans la journée. Mes camarades me considèrent avec une méfiance évidente. Moi qui pensais qu'ils allaient être impressionnés par ma présence, j'avais tout faux. La plupart semblent déterminer à me prendre de haut, et seul l'idiot de la bande semble me considérer avec respect, et cela uniquement parce qu'il ne sait même pas qui je suis.

Et puis, il y a Elio, ce mystérieux garçon qui semble totalement étranger à tout ce qui se passe dans ce camp. Un électron libre, un solitaire. Est-ce pour cette raison qu'il m'intrigue autant ? Parce qu'il est lui aussi un paria dans cet environnement hostile ? Ou est-ce simplement son regard ambré qui me fait perdre la raison ?

Il marche quelques mètres devant moi, alors que notre escouade prend la direction du terrain d'entraînement. Je n'ose pas aller le voir, car j'ai l'impression que la moindre interaction représente une contrariété pour lui. Au lieu de ça, je traîne des pieds en queue de peloton, toujours accompagné de Gaston. Ça ne m'étonne pas qu'il ait été mis à l'écart du reste du groupe. En plus d'être parfaitement ignorant, il semble incapable de garder le silence plus de trente secondes.

Une image de lui et Léona me traverse l'esprit. Je suis persuadé qu'ils s'entendraient à merveille ! Ou bien s'agaceraient-ils mutuellement ? Dur à dire.

— Tu as appris le maniement des armes, là où tu vivais ? Moi, je ne m'étais jamais battu avec autre chose qu'une serpe et une fourche avant d'arriver ici.

Je jette un coup d'œil à ma montre. Quarante-cinq secondes de silence. C'est probablement un nouveau record de sa part.

— Oui, j'ai suivi des cours au palais. Je sais plutôt bien manier l'épée et la lance, et je me considère comme un bon archer.

L'image du sourire d'Ian me traverse l'esprit l'espace d'un instant. Je sens une vague de chaleur s'étendre dans ma poitrine, mais la voix enjouée de mon compagnon me ramène vite à la réalité.

— C'est vrai ? Moi, je ne peux pas tirer à l'arc. À cause de... démarre-t-il en soulevant le petit moignon qui lui sert de bras droit. Tu vois.

J'observe d'un œil perplexe le membre presque inexistant au bout duquel se trace une vilaine cicatrice rosée en forme de croix. Je ne comprends toujours pas comment un garçon tel que Gaston a pu être accepté dans l'armée, d'autant plus au sein de l'HURGE. Les soldats de ce régiment sont supposés être des guerriers hors pair.

— Tu sais te servir d'une épée ou d'une lance dans... ton état ?

C'est à son tour de me lancer un regard confus, avant de baisser les yeux sur son bras gauche.

— Bien sûr que oui, me répond-il avec aplomb. Il suffit d'une main pour manier la lance ou l'épée. Et puis, je suis gaucher de toute façon. Enfin... je le suis devenu.

Il pouffe, visiblement amusé par sa situation. Je ne comprends pas comment il peut rire d'une telle faiblesse. L'absence d'un membre est un handicap difficile à assumer pour n'importe qui. Mais, pour un soldat, c'est presque l'assurance de mourir face au premier adversaire qu'il croisera. Ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère.

— Si tu veux, on pourra se mettre ensemble pour l'entraînement. J'étais toujours en binôme avec Jérémy avant son départ.

— Jérémy ? répété-je, intrigué.

— Celui que tu remplaces. Il est parti en mission d'infiltration en Isotanie la semaine dernière, il était tellement content.

— Une recrue en service militaire ? En mission d'infiltration ? demandé-je, les sourcils froncés.

Timothy - La naissance d'un guerrierWhere stories live. Discover now