prologue.

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                                 Sous les yeux noirs, fatigués et embrumés de Hazuki, le bleu profond du ciel disparaissait dans un noir d'or. Les étoiles brillaient avec tellement d'éclat qu'il était impossible de dissimuler, qui des dieux ou des astres dominaient les cieux. Entre ses doigts, la jeune fille tenait une longue pipe à tabac en bois, où s'enveloppaient de longues volutes grisâtres. Le goût âcre, tourbé et résineux flottait sur son palais, dont les notes épicées macéraient sa bouche. Les masses brumeuses soufflaient en direction du cœur de la nuit, tandis que son essence mourrait dans ses poumons. La nicotine embrasait ses lèvres, sa langue et sa gorge avec ce parfum de poison. C'était si fort, l'enfer semblait se déferler à l'intérieur de son organisme. Elle n'avait pourtant que treize ans, un âge beau et insouciant, un âge qu'on attribuait à un enfant. Mais les enfants au sein du clan Kamo, la noble et prestigieuse lignée qui souffrait d'un prestige bafoué par ses mœurs, par un passé qui refusait de mourir, naissaient avec des singularités. Rares sont seuls qui héritaient d'une fantasmé normalité. En dehors de son père, des sages-femmes et de certaines personnes, tout le monde ignorait le véritable genre de Hazuki. Les gens sont persuadés de sa masculinité à cause de ses traits accentués, de sa forte carrure aux épaules larges, de son corps musclé. Ses abdominaux sont tracés et soulignés par un relief musculaire volumineux, découpés et musculeux comme ceux d'un golgoth. Son dos s'apparentait à celui d'un samouraï avec des clavicules puissantes, une colonne vertébrale droite, et des vertèbres creusées. Ses hanches demeuraient étroites, dissimulées sous les pans d'un kimono. Ses bras paraissaient assez larges pour remplir les manches de son habit. Elle suivait un entraînement drastique, insoutenable et inhumain. Elle maltraitait son corps, le déformait, le déféminisait selon les critères standardisés de son clan. Son père la contrôlait dans les moindres faits. À ses yeux, cette naissance était la résurrection de ses rêves, l'œuvre d'une prière réussie. Il ferait d'elle ce qu'il n'a jamais pu être. 




           Dans le jardin de la jeunesse, il existait des labyrinthes, des roses, des nuages, des avions mais surtout un bonheur éphémère, presque qu'obsolète, aussi fragile qu'une pétale, qu'une tige de blé dans un champ d'été, que n'importe quel enfant méritait de toucher, de croiser, de contempler et de goûter. Il existait là-bas, dans cette prairie somptueuse, dans cet endroit féérique, un bleu si précieux qu'il pourrait redonner un teint à toutes les mers et les océans de ce monde, un bleu si merveilleux qu'il rendrait tous les enfants heureux. La mère de Hazuki lui racontait souvent ça, et parfois, la noble exorciste se permettait d'en rêver mais il lui arrivait plus souvent de cauchemarder. Son ancêtre, le grand Noritoshi Kamo, décédé depuis des siècles continuait de la hanter. Si les légendes ne mourraient jamais, les fléaux non plus. Ils paraissaient éternels. Tout semblait infini et durable parmi les vivants sauf ce qu'ils créaient. La nuit vivrait éternellement contrairement aux humains dont le corps se contorsionnait déjà pour rentrer dans une tombe. Alors qu'elle n'était qu'une enfant, de lourds espoirs pesaient déjà sur son épaule. Et son corps meurtri et bardé de cicatrices, qui demeuraient le fruit d'une centaine d'historiques qu'elle ne pourrait oublier. C'était ça, le plus triste et dévastateur 
pour un gosse, voir ses parents lui construire un passé plutôt qu'un présent, constater que les moments devenaient plus des traumatismes que des souvenirs. Hazuki souffla longuement avant de descendre du toit en sautant, retombant pieds joints sur le sol. La poussière se souleva et retomba avec les centres de sa pipe à tabac. Rien ne tournait rond dans le tumulte de ses pensées, et son cœur, c'était à se demander dans quel sens, il pulsait. 




       La chaleur rendait l'été plus lourd, et plus inconfortable. Personne ne dormait sous le chant des criquets, encore moins les démons qui se nourrissaient de l'absence de Morphée. Chacun trouvait dans la vie de Hazuki, sa part d'existence. Et pourtant elle, ne trouvait pas sa place dans son propre monde. Elle était constamment manipulée, torturée, abusée et contrôlée par son paternel. Pourtant, les liens du sang demeuraient l'emblème même du clan Kamo. Les membres privilégiéaient les valeurs familiales, respectant les traditions dans un mécanisme orthodoxe. Régi par des conventions patriarcales, les femmes naissaient pour enfanter, certaines servaient même uniquement d'utérus d'emprunt, comme la mère de Noritoshi, et la tante d'Hazuki. Le chef actuel l'avait malmené et maltraité avant de la faire marginaliser. Dans la suite logique des choses, ce garçon devrait être le prochain maître du clan mais dans les espoirs de Masayuki Kamo, sa fille serait la prochaine à goûter au trône. Il l'élevait dans cet unique but, et ce serait un moyen de revanche pour sa sœur lamentablement rejetée et ostracisée. Les liens du sang ayant été souillés par ce traitement, il ne comptait pas faire preuve de clémence. Le sang n'était pas que le symbole de l'union et les valeurs d'une famille, c'était aussi une force, le pouvoir d'une lignée aussi grande. Descendue de son perchoir, elle se rendit à la salle d'entraînement. Son père lui fit remarquer son retard pendant qu'une centaine d'hommes entrait, tous armés. Évidemment. Mais elle n'allait certainement pas gâcher de l'énergie occulte pour eux. D'une main posée sur sa nuque, elle fit craquer son cou aux os définis et ses doigts. 






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⏰ Dernière mise à jour : Aug 09, 2022 ⏰

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LA COLÈRE DES REINES, maki Où les histoires vivent. Découvrez maintenant