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    Quelque chose d'étrange s'était produite aujourd'hui. En fait, plusieurs choses étranges s'étaient produites.

   Le matin, alors que je venais de me réveiller, mon téléphone sonna. C'était un numéro masqué. Je répondis, mais un silence fut la seule réponse. Je salue le vide à plusieurs reprises, attendant des mots, des paroles, mais je ne reçus rien en retour. J'entendis un sanglot étouffé, juste avant que mon interlocuteur muet ne coupe l'appel.
   Je savais déjà qui ça pouvait bien être. Considérant ceci comme un signe, comme une invitation à décaniller de ma personnalité apathique et damnée, je traçai l'appel.

   Une déréliction déclive m'assaillit alors que je pris le train, suivant l'itinéraire de l'adresse que j'avais traquée. En entrant dans ces wagons, je sentis que mes actions étaient contrôlées par un besoin d'expier mes péchés. C'était une intention que je ne pouvais guère contrôler. Le corps et l'esprit demandaient des choses auxquelles je ne pouvais qu'obéir docilement.
   Le deuxième événement étrange de la journée se produit alors qu'une personne s'assit à côté de moi dans le train, clamant à voix haute me connaître. L'excitation perlait de sa voix. C'était un homme, habillé en tuxedo, une mallette beaucoup plus luxueuse que la mienne dans ses mains. Il m'appelait « mon vieux » et me parlait avec un enthousiasme que personne n'utilisait avec moi.

   Il disait avoir été allé au même lycée que moi, mais mes souvenirs lycéens dataient et je ne me rappelais pas du tout de sa personne. Lorsque je lui dis ces mêmes mots, m'attendant à ce qu'il me laisse tranquille, il continua à insister, jetant paroles sur paroles, s'attendant à ce que je comprenne son charabia.

   Bientôt, il parla de sa vie, de sa femme, de son petit fils qui venait tout juste d'être né ainsi que de son travail. Sa façon de parler était égrillarde et sa personnalité était affable et expansive.
   Il étalait sa vie comme si elle m'appartenait. Il m'a fallu plus d'une seconde pour réaliser qu'il était venu ici principalement pour se vanter, pour montrer sa supériorité, pour me faire savoir qu'il avait survécu et qu'il vivait la vie parfaite des faquins de la société.

   Lorsqu'il me demanda si j'étais marié, je sortis une photo de mon portefeuille.
   "Elle s'appelle Leticia. C'est notre fils. Je l'ai rencontrée il y a quelques années. Je l'aime plus que tout" lui dis-je, sans même essayer de mettre de l'amour dans ma voix. Il fixa la photo pendant de longes secondes avant de balancer un petit "J'ignorais que les femmes étrangères étaient ton genre". C'est à ce moment que je me rappelai de lui. C'était ce garçon qui n'avait cessé de me demander de lui donner des cours de tutorat au lycée.

   J'imagine qu'il avait marié la fille d'un homme riche afin de se démerder dans la vie, le tout en possédant une stupidité au-dessus de la norme.

   Je me retourne vers la photo que je lui avais montrée. Cette femme n'était pas réellement ma femme. Ce petit garçon sur la photo n'était pas le mien.
   Ils étaient des immigrants venus de Côte d'Ivoire. En échange d'une photo ensemble, nous avions signé les papiers de mariage afin qu'elle puisse s'installer librement ici, elle et son enfant. Je montrais cette photo à chaque fois qu'une personne quelconque me demandait des explications sur ma vie et étrangement, cela arrivait souvent, au dédain de mon inclémence et de mon détachement.
   Ils vivaient à Busan maintenant. J'envoyais de l'argent à chaque mois afin de les aider et de contribuer à leur confort ici.

   Cet ancien camarade de classe continua à parler et me donna sa carte d'affaires, me demandant de le contacter le plus tôt possible afin qu'on s'organise quelque chose ensemble. Lorsque je sortis du wagon, je trouvai rapidement la poubelle la plus proche et jetai la carte d'affaires. Un martèlement sonore me fit tourner la tête. Cet homme m'avait vu. Il avait vu la façon empressée dont je m'étais débarrassé de sa carte et il en était furieux. Il frappait sur la fenêtre et m'offrît son majeur, quelques secondes avant que le train ne poursuivit sa route.
   Peut-être aurais-je dû garder cette carte et la jeter plus tard? J'haussai des épaules, nonchalant. Je marchai sur le trottoir et arrêtai un taxi. Je lui donnai l'adresse.

𝐋𝐄 𝐒𝐏𝐀𝐃𝐀𝐒𝐒𝐈𝐍 | 𝘬.𝘵𝘩Where stories live. Discover now