Prologue

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Charleston, Caroline du sud – Colonie britannique d'Amérique du Nord.

Septembre 1756.

Une silhouette encapuchonnée se faufilait dans les ruelles sombres de la ville, ignorant les quelques passants encore dehors à cette heure tardive. Elle resserra les pans de sa capuche, priant pour qu'on ne la reconnaisse pas ; il aurait été mal vu qu'une fille de bonne famille soit aperçue dans ces ruelles, si tard le soir.

Enfin elle atteignit son but, un petit entrepôt en marge du port ; à cette heure avancée de la nuit il était vide, mais il grouillerait d'esclaves dans quelques heures à peine, afin de préparer le départ de l'un des bateaux d'une grande famille de la ville.

_ J'ai bien cru que tu ne viendrais pas, souffla une voix alors qu'elle poussait la porte de l'entrepôt.

Loin de l'effrayer, cette voix rasséréna Sophie et elle sourit, même si son interlocuteur ne verrait certainement pas son sourire dans la pénombre ambiante.

_ J'ai attendu ce moment toute la journée, dit doucement Sophie en enlevant sa capuche.

Une cascade de cheveux bruns bouclés déferla sur ses épaules, et elle prit la main que lui tendait son interlocuteur, la serrant fort.

_ Tu es bien sûre de ce que nous faisons ? interrogea le jeune homme en face d'elle.

Sophie le considéra un instant ; elle ne voyait guère les détails de son visage, mais elle devina que ses traits devaient être soucieux, inquiets. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire tous deux était complètement fou, et serait sûrement dangereux. Loin d'être inquiète, Sophie était excitée, enthousiaste. Une nouvelle vie allait s'offrir à eux.

_ Nous devons le faire, dit enfin Sophie. Ils ne nous laisseront jamais être en paix, ensemble. Tu le sais.

_ Je craignais que tu ne veuilles plus partir, dit Henry.

_ Nous préparons ce départ depuis des jours, je n'allais pas renoncer si près du but ! protesta la jeune fille.

Ceci dit, elle comprenait les craintes de Henry. Monter sur un bateau clandestinement, partir pour une destination qu'ils ne connaissaient ni l'un ni l'autre... N'importe qui aurait reculé, aurait trouvé toutes les bonnes raisons du monde de ne pas le faire. Pas Sophie. Elle était déterminée, et voulait mettre le plus de distance possible entre sa famille et eux deux. Entre leurs familles.

C'était Henry qui avait suggéré ce départ, sans trop y croire ; quelle ne fut pas sa surprise de voir que Sophie était emballée par l'idée, et croyait fermement qu'ils pourraient y arriver ! Alors, Henry avait préparé comme il avait pu leur aventure. Des bateaux partaient sans arrêt du port de Charleston, ils en prendraient un ; ce ne serait qu'une semi clandestinité, car Henry connaissait quelques uns des marins qui seraient sur le bateau. Le second du capitaine avait accepté leur venue, sans en informer le capitaine de suite ; il le ferait une fois qu'ils seraient en mer, loin de Charleston. Le Capitaine connaissait du monde, et notamment la famille de Henry ; tout le monde connaissait la famille de Henry. Il n'aurait pas été très discret d'afficher haut et fort leur volonté de quitter Charleston pour la Jamaïque.

_ Je suis certaine que tout ira bien, ajouta Sophie. Une fois là-bas, nous pourrons nous marier sans avoir à craindre les foudres de nos parents.

_ Les foudres ? ironisa Henry. Le mot est faible. Même à distance, cela déclenchera une guerre.

Sophie voulut rire, mais son rire s'étrangla dans sa gorge ; Henry avait raison. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire ne serait pas sans conséquence, sauf qu'ils ne seraient plus là pour le voir.

Les ColoniesWhere stories live. Discover now