Scène 15 - Encore une fois

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Tout demeurait toujours aussi beau par ici et le ciel toujours aussi clair et l'horizon à perte de vue toujours aussi azur. Les plaines verdoyantes puaient encore de leur délicieuse odeur florale, l'océan, comme s'il n'était pas déjà assez immense comme ça, continuait à grandir et rejeter par des vagues douces son immonde écume immaculée à la senteur iodée. La forêt aussi restait tout aussi immuable, forte, ouvrant son orée à la découverte et ajoutant des taches brunâtres au magnifique paysage. Enfin le désert, sûrement le plus excitant de tous, au moins, le vent bougeait son sable ardent pour former une dune ou une autre au loin. Toujours ce même paysage sempiternel, infâme, magnifique et menteur.

Enfin quelqu'un arrivait ! Cette fois c'était une femme, tiens, elle aussi était décédée d'une balle d'en la tête, que de coïncidences !
L'hôte de cet endroit majestueux tentait de s'amuser des petites choses, plutôt que ces immenses paysages, des sucreries inédites pour son esprit qui se tarissait à chaque instant passé à cet endroit. Elle en avait marre de toujours répéter la même galère, toujours la même rengaine "réveille", bla bla bla... Cette fois, elle ferait autrement.
Ne laissant même pas le temps à la nouvelle arrivante le temps d'admirer ce qui pour elle était grandiose, l'étrangeté vint à son encontre.

- Bonsoir Phynexia.

Celle en face d'elle voulut répondre mais se surprit à rester absolument muette, aucun son ne sortait de sa bouche paniquée, pas même un souffle.

- Si tu es là, c'est que tu es... mécontente de ta fin. Vois-tu, tu es morte. Et comme tu le sais très bien, les cadavres ne respirent pas. Alors compliqué de parler dans ces conditions; c'est déjà très bien que tu puisses faire appel à tes cinq sens, d'après moi.

L'hôtesse attendait que le calme soit revenu, ne pressant pas trop la femme au teint d'ébène, qui, après quelques secondes à se rappeler des derniers événements de sa vie, finit par montrer qu'elle était prête à écouter son interlocutrice.

- Pour faire simple, je peux t'aider à revenir à la vie... Tu dois savoir cependant deux choses; premièrement, je partagerai ton corps... rien de bien alarmant, je ne serais là qu'en tant qu'observatrice. Et deuxièmement, ce sera surtout à toi de te "réveiller", disons que je ne ferais que te donner le petit coup de boost surnaturel, permettant tout de même de défier la loi la plus axiomatique de l'existence même; la mort. M'enfin. Une tempête arrive, décide-toi vite avant qu'elle ne t'emporte et "réveille" toi.

L'esprit ressemblant à celui d'un ange cachait son désir pour ne pas influencer le choix de l'Androgyn. Elle donnerait tout pour sortir de cette prison dorée sans barreau, mais le dire à haute voix la ferait très certainement passer pour un être maléfique, mangeur d'âme et qui doit demeurer enfermé à jamais. Surtout dans l'oreille d'une petite fille aussi pure que Phynexia. Elle n'avait encore rien vu de son insignifiante vie et devait déjà se battre contre l'univers pour la garder.

Cette dernière s'était assise, l'émerveillement du lieu laissa vite place à une interrogation aussi légitime qu'inutile: "Pourquoi ?" L'enfant n'en savait rien et réfléchir à sa propre mort la faisait vomir tout le vide qu'elle gardait en elle.
À vrai dire, tant de réflexion sans but l'endormait presque. Elle laissait ses pensées divaguer, n'arrivant pas à les contrôler, les ramener à son concentre; chacune partait de son côté sans se retourner, abandonnant l'esprit de l'enfant comme une simple troupe qui passait. Une rivière d'idées et de rêveries qu'elle ne pouvait arrêter. Un fleuve, c'était bien trop agressif pour de simples élucubrations, comme si le flot impétueux venait d'ailleurs, qu'il s'imposait à elle. La pleine conscience ? Son subconscient n'avait maintenant plus aucun filtre et Phynexia entendait même son cœur qui ne battait pas. Le sang dans ses veines qui ne coulait pas. Ses poumons qui ne se rétractaient pas. Un souffle de panique s'empara à nouveau d'elle, encore un que la femme ne pouvait expulser, souffler, se tenait la gorge dans un cri de douleur silencieux en rampant presque sur le sol elle remarqua cependant une chose. Elle ressentait ses muscles se tendre à tel point qu'ils crampaient, la faisant presque pleurer de douleur, d'ailleurs, elle sentit un liquide couler sur ses joues, de sa langue le goûtant, elle constata le sel, et surtout qu'elle pouvait encore pleurer. Elle ressentait aussi le gravier s'enfoncer dans ses mains striées. Les pleurs s'accumulaient, mais ils devenaient joyeux, un sourire douloureux se dessina sur son visage alors qu'elle planta ses doigts dans le sol à s'en écorcher les ongles, pour récupérer la terre malléable qu'elle étala frénétiquement sur ses avants bras. La terre était froide, glacée presque, malgré le soleil éclatant qui irradiait son visage. La plénitude. Elle voulait vivre, elle en avait besoin, et Phynexia se dit même qu'à partir de ce jour, elle apprécierait chacune de ses respirations, et chacun de ses battements de cœur.

Néanmoins, la tempête était arrivée et les deux femmes se sentirent aussitôt glacées jusqu'aux os. Une annonce qu'elles prirent de manière opposée; l'hôte était terrorisée mais Phynexia, elle, savourait sa peau qui se tendait et ses poils qui s'hérissaient.

- Alors, c'est maintenant ou jamais, tu veux quoi ? Secoua de peur l'hôtesse Phynexia qui semblait s'amuser de la situation. Mais t'es folle ou quoi ?

- Je veux vivre ! Fais moi vivre, je vais vivre ! Pensa bruyamment la femme d'ébène, si fort qu'elle grondait sur la tempête, comme si les éclairs partaient du sol pour venir pourfendre le cataclysme aérien. Le tonnerre était de chair et d'os, la réalité était prête à se rompre, à se courber à la volonté de simples mortelles, d'ailleurs, elle n'avait point vraiment le choix.

La femme se mise à chanter, d'une voix bien plus grave que celle avec laquelle elle avait parlé jusqu'ici, en ces mots, que Phynexia retint pour le restant de sa longue vie:

Des som søker døth

Des som vil hěd liveliv

Lei ditt ønske være midas

Lei din samvittighet være min

All des aksepterir alÌ miě ønsker

Diӣ æksisten vil være laget av gull

av uoppfylte ønsker

og hele liveliv vil des lide Kondoria flӣkt.

Le poème résonnait par delà l'horizon, toute l'existence l'entendit, mais aucun ne comprit, aucun, sauf sauf la tempête. Elle dansait de fureur, elle tentait de cracher sa haine sur le couple féminin, mais la voix des femmes était plus forte, plus exactement, Phynexia, bravait l'ouragan, le faisant fuir, se rétracter et laisser la beauté du lieu sempiternel revenir.

Phynexia rouvrit alors les yeux. Elle était dans le noir, elle sentait des larmes sèches sur ses joues, et la première chose qu'elle entendit était son cœur. Alors qu'elle allait crier de joies, les mécanismes s'entrechoquèrent dans sa gorge, et elle inspira mille fois en un, comme si elle avait été étranglée pendant des siècles, elle ne savait pas pourquoi mais une voix lui dit de pousser ce qu'elle avait au dessus d'elle. Et, alors qu'elle expira pour la première fois de sa vie, la femme d'ébène se redressa dans son cercueil, en ressortant en étant éblouie par tant de lumière.

On cria alors à la nouvelle née au creux de son esprit.

- À gauche, la porte, dépêche-toi, et ferme derrière toi !

Sans même y réfléchir, l'enfant s'exécuta, refermant le cercueil et la porte derrière elle.

Vindicta storiesWhere stories live. Discover now