Une mort pour commencement

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Je savais que la mort viendrait me chercher tôt où tard mais j'étais loin de me douter que ça arriverai aussi vite et aussi soudainement. Je ne pensais pas non plus que j'aurais aussi peur une fois la faucheuse venue me chercher. Pour ma défense je ne savais pas que ce serait si douloureux.

Le jour où c'est arrivé, j'étais assise confortablement dans le salon de la vieille maison dans laquelle j'habitais avec ma sœur, Hanna. Enfin, le mot confort était un euphémisme quand on voyait notre vieux canapé tout déchiré dont les ressorts semblaient vouloir s'enfuir. Je m'avançais dans mon travail en attendant qu'elle revienne. Elle adorait la couture et faisait de magnifiques petites peluches que l'on vendait au marché du village. Des petits animaux mignons rembourrés de mousse et quelques monstres qu'Hanna sortait de son imagination. J'étais toujours surprise lorsque quelqu'un nous achetait un des monstres. Moi, je m'occupais de leur mettre des accessoires et de faire des paquets lorsque nous avions des commandes. Un travail assez facile et ennuyeux mais c'était l'une des rares choses que je pouvais faire. Hanna m'interdisait de sortir de la maison sans elle ou même de me faire remarquer par qui que ce soit. Les peluches ne nous rapportaient pas beaucoup d'argent alors ma sœur travaillait dans un magasin de couture où elle volait des matériaux quand elle en avait l'occasion. J'attendais donc qu'elle rentre du travail pour que nous allions vendre nos créations sur la grande place. Je me disais que cette fois-ci nous aurions peut-être de quoi manger à notre faim. Nos peluches n'étaient vraiment pas chères et ne se vendaient pas très bien mais cela rendait Hanna heureuse alors je ne me plaignais pas.

Alors que je travaillais tranquillement, quelqu'un a toqué à la porte. J'ai soupiré et me suis levée du canapé déchiré en m'étirant et en me dirigeant mollement vers l'entrée. Hanna rentrait bien plus tôt que d'habitude, je pensais encore devoir l'attendre une bonne heure. En plus elle avait du travail à rattraper vu qu'elle avait oublié de livrer une cliente la semaine précédente. Souvent, elle oubliait ses aiguilles ou des tissus dont elle avait besoin, elle avait souvent la tête dans les nuages. Mais malgré son côté tête en l'air, c'était une jeune femme très intelligente et incroyablement belle et surtout très autoritaire. C'était la plus mature et responsable de nous bien que parfois je ne comprenais pas ses excès de prudence en ce qui me concernait. Tous les hommes du village lui avaient déjà fait une demande en mariage car elle avait toutes les qualités d'une femme au foyer parfaite malgré sa pauvreté mais elle les avait toutes refusées. Ses seules envies étaient de faire de la couture, créer de tous nouveaux vêtements qu'elle me faisait porter et s'occuper de moi. Ce qui l'exaspérait le plus c'était que tous ses prétendants lui demandaient de m'abandonner si elle voulait avoir la chance de se marier. J'aurai aimé ne pas être un tel fardeau pour elle qui travaillait si dur. Personnellement, je n'étais pas intéressée par la couture mais plutôt par le combat et le danger, je rêvais de rentrer dans la garde royale mais je n'avais jamais vu une seule femme à ce poste et j'étais bien trop pauvre pour être prise au sérieux. De toute façon Hanna disait qu'il ne fallait surtout pas que les gardes m'approchent si je voulais être en sécurité et ne pas me faire arrêter. D'après elle, la garde emmenait les enfants pauvres pour les forcer à travailler dans des mines ou tout simplement les tuaient pour limiter la pauvreté du royaume. Si Hanna le disait avec tant de sérieux et de peur, c'était forcément vrai, je lui faisais confiance.

Je me suis rapprochée d'un pas lent vers la porte, m'apprêtant à ouvrir quand j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas. Les coups étaient trop violents, trop erratiques. Ce n'était pas Hanna qui se tenait derrière la frêle porte en bois qui tremblait déjà sous les coups. La garde ! Ils ne devaient pas me trouver ! Hanna me disait de me cacher dans mon repère lorsqu'ils venaient faire une inspection. Les coups devenaient plus violents alors que mon corps se changeait en statue de pierre, il fallait que je bouge et vite mais je ne pouvais m'empêcher de garder les yeux rivés sur les gonds qui menaçaient de lâcher. Lorsque j'ai entendu le bois se fissurer, mon corps engourdi a enfin accepté de m'obéir et j'ai couru le plus vite possible au centre du salon pour soulever le vieux tapis et me glisser dans le trou que j'appelais mon repère. J'ai réussi à me glisser dedans au moment où la porte à explosé pour s'encastrer dans le mur en face de moi. J'ai remis le tapis en place la tête pleine de prières pour je ne sais quel dieu auquel je ne croyais pas. Pitié qu'ils ne remarquent pas ma présence ! Blottie au fond de mon abris de terre humide, j'écoutais attentivement. Sans me soucier des insectes qui m'entouraient ainsi que de l'humidité qui me donnait l'impression d'être dans un cercueil.

A en croire les bruits de pas, il n'y avait qu'une seule personne. Il fouillait la maison en grognant, je pouvais entendre mes propres battements de coeur alors que mes mains tremblaient. Je me trouvais lâche de me cacher ainsi mais personne ne devait m'approcher sans la présence d'Hanna, cela avait toujours été la règle de ma vie. Les raclements laissaient penser qu'il déplaçait des meubles, il s'approchait de plus en plus de ma cachette.

- Où te caches-tu ? Je sais qu'Hanna te laisse enfermée dans cette ruine quand elle n'est pas là. Tu peux sortir je ne te ferai rien, on m'a chargé de te récupérer vivante c'est promis. Sors de ta cachette ! A hurlé l'inconnu.

J'ai automatiquement plaqué mes mains sur ma bouche et presque arrêté de respirer. J'aurais sûrement pu le mettre hors d'état de nuire en un contre un, comme je m'ennuyais souvent je m'entraînais à me battre et mon niveau était devenu très bon au fil des années mais je devais respecter la volonté d'Hanna et ne surtout pas me faire remarquer. L'homme se tenait tout près de ma cachette. Je devais rester silencieuse et attendre qu'il s'en aille ou que Hanna revienne.

- Si tu ne sors pas je vais faire brûler ta maison, tu devras bien sortir si tu y es forcée. Tu ne préfères pas faire ça de manière douce ? Moi je préférerais, je te le jure, je déteste faire du mal aux gens. A-t-il menacé.

Comme je ne répondais pas, il a poussé un soupir.

- Je t'aurais prévenue.

Ce sont les derniers mots que je l'ai entendu prononcer. Après ça, je l'ai entendu s'éloigner jusqu'à quitter la maison. Au bout de quelques petites minutes, une odeur étrange a envahi mes narines, me faisant tousser et pleurer. De la fumée entrait dans mon petit espace alors que j'avais de plus en plus de mal à respirer. J'ai essayé de plaquer du tissu contre ma bouche et mon nez mais ça n'arrangeait pas vraiment la situation. Un crépitement se faisait entendre alors que la chaleur devenait insupportable. Voulant m'échapper, j'ai plaqué mes mains sous le tapis pour le soulever mais j'ai sentis une masse lourde me bloquer le passage. L'inconnu avait dû déplacé un meuble jusqu'au dessus de moi, il me bloquait la sortie. J'avais beau y mettre toutes mes forces rien ne bougeait d'un centimètre. J'étais prise au piège et ma tête commençait déjà à tourner. Il ne me restait plus aucune chance de m'échapper. L'homme avait mit ses menaces à exécution et avait fait brûler la maison en pensant que je serais forcée de sortir mais j'étais prise au piège dans un petit trou terreux, suffoquant alors que le peu d'air qu'il me restait disparaissait. J'ai alors revu des souvenirs de ma vie avec Hanna, j'ai pensé à ce qu'elle allait faire lorsqu'elle saurait que sa sœur n'était plus de ce monde. Chercherait-elle à me venger ou pleurerait-elle simplement ma mort ? Au moins, je ne serais plus un poids pour elle. J'étais résignée, allongée au fond de ce qui me ferait office de tombe. Ma vision devenait de plus en plus brouillée alors que je sentais que je n'aurais plus d'air à respirer. Mes poumons étaient pris dans un étau et se compressaient sous le manque d'oxygène. Ma gorge était serrée alors que j'essayais en vain d'inspirer. J'avais l'impression de me noyer, ma dernière vision serait donc de la fumée piquant la rétine et brûlant la gorge. Alors que ma vision était trouble, j'ai cru voir le visage d'Hanna au dessus de moi. J'ai tendu la main vers elle mais son visage a disparu en poussière instantanément. Je me suis alors endormie, pour ce que je pensais être pour toujours.

- Raven ! Je suis désolée, tellement désolée ! Je n'ai pas su te protéger...

Cette voix, elle résonnait dans ma tête. Familière mais si lointaine, si douce mais si triste. Je sentais encore les grains de terre sous mes mains, des millions de graviers enfoncés dans mon dos, une chaleur suffocante qui me donnait l'impression d'être dans un immense feu de joie. Pourtant, aucune douleur, je ne sentais rien. Rien d'autre qu'un paradoxal froid intense qui parcourait mon corps alors que la chaleur des alentours cherchait à m'atteindre sans y arriver. Je me sentais comme aspirée par une force invisible qui me poussait toujours plus loin dans les profondeurs de la terre. A ce moment là, j'étais incapable de savoir si j'étais morte ou vivante. Je me sentais simplement partir.

La faucheuse de monstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant