Chapitre XXXVI : Choses vaines

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Matthieu, désespéré, la regarda comme si elle avait perdu l'esprit, tandis que Esther partait dans un fou rire hystérique.

- C'est ça votre idée ? Vous vous êtes crues dans une cour d'école ?

- Ça ne marchera pas, trancha Orlane avec impatience. Nous venons de leur parler, ils ne nous écoutent pas et ce n'est pas maintenant qu'ils vont le faire.

- Vous avez voulu vous justifier, voilà ce qui les a mis en colère, répliqua Alice. Vous allez rectifier le tir.

- Nous ?

- Impossible, protesta Elanor, les âmes nous confondent en une seule paire de jumelles !

- Oui, oui, c'est très convénient pour vous et nous avons déjà parlé de ça, éluda Calie. Nous avançons et vous parlerez, en mettant toute la force et la conviction dont vous êtes capables. Et surtout, surtout, de la sincérité. Nous ferons en sorte que vos mots les atteignent.

- C'est de la folie ! s'insurgea Matthieu. Vous allez juste réussir à vous faire tuer !

- Cela marchera, rétorqua Calie. De toute façon, notre protection arrive à ses limites.

De fait, c'était à peine si on la distinguait encore. La créature les toisait, la bouche tordue par un sourire sardonique. Elle ne frappait plus aussi violemment ; sachant ses proies condamnées, elle jouait avec elles comme un chat avec une souris.

- Ce sera aussi puissant qu'une attaque, mais inoffensif pour le bébé, dans la mesure où vous arriverez pour une fois à dire toute la vérité, dit Alice avec un avertissement implicite dans la voix.

- Vous êtes folles à lier ! bafouilla Esther.

Mais le bouclier rendit l'âme au même moment avec un son atroce, comme le crissement d'une fourchette sur de la porcelaine. Les souvenirs qui le composaient flottèrent encore un moment avant de disparaître, à la manière de feux follets. Il n'y avait plus d'autres options. Alice et Calie plongèrent à genoux, face contre terre. Catastrophées, Elanor et Orlane firent de même et, se fondant dans le lien qui les unissaient toutes les quatres, parlèrent par la bouche des vivantes. Elles incorporèrent dans les mots tous les sentiments refoulés par des années de survie dans l'Errance. Compassion, empathie, honte, regret... Ce dernier avait un goût particulièrement amer. Leur voix retentit dans tout le manoir, vibrante et suppliante.

Bien que nous n'ayons plus ce droit, nous vous demandons pardon à tous, du fond du cœur.

C'était de la folie. Une pure stupidité larmoyante. Aucune chance que ça marche. Elles allaient mourir en ayant gaspillé leur dernière chance.

Les tentacules de cheveux s'arrêtèrent à quelques millimètres de leurs têtes. La créature, silencieuse, écoutait enfin. Les mots l'avaient atteinte. Alice et Calie bourrèrent leurs ancêtres de coups de coude.

- Continuez !! articulèrent-elles sans parler.

Nous vous avons causé des torts irréparables et nous ne pourrons jamais nous racheter, balbutia Orlane qui n'en revenait pas.

Nous voulions vous apporter du réconfort, mais nos actions étaient lâches. Nous n'avons fait que soulager notre conscience sans vous aider. Vous avez toutes les raisons de vouloir nous tuer, dit Elanor, persuadée que la créature allait effectivement se contenter de les tuer.

Mais le monstre écoutait toujours. Alors elles continuèrent, se livrant totalement et découvrant quel soulagement c'était, même si cela signifiait peut-être leur perte. Elles ne s'aperçurent même pas qu'elles pleuraient.

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant