VII

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Il commençait à devenir fou. Il ne dormait plus. Il les voyait partout et quand ça n'était pas le cas il les façonnait, silhouettes intangibles, illusions étrangères. Ca n'était jamais assez bien, jamais assez réel, jamais assez vrai. Non. Son frère était un peu plus grand, le nez plus droit, pas comme lui. Sa mère était plus souriante. Pourquoi n'arrivait-il pas à la faire sourire ?

Il les oubliait déjà. D'abord les détails de leurs visages, bientôt, si tôt, ils ne seraient vivants plus que dans les souvenirs flous du passé. D'un geste rageur il dissipa son illusion ratée et s'allongea sur le lit. Il devenait fou. Fou ! Les yeux clos, il se laissa aller. Que devait-il faire ? Il avait besoin d'eux.

Quelques coups furent frappés à la porte et d'un seul élan il se redressa sur ses jambes. Le battant s'ouvrit sur Noah.

« Naïr veut te voir, l'informa-t-il simplement. »

Il ne prit même pas la peine de répondre à la grimace surprise de K et quitta l'encadrement de la porte. Lorsque ce dernier sortit de la pièce, le couloir était vide. Il se retrouva un instant embêté. Il ne connaissait pas bien ce labyrinthe qu'était Bastion, lui qui limitait ses déplacement entre la chambre et, la nuit, le balcon.

Il avait conscience de ce qu'il dégageait. Un gamin errant. Pathétique.

« Tu sais pourquoi tu es là K ? »

Naïr ramena ses mains jointes contre son front. Son visage était particulièrement fermé, non pas comme démonstration d'une certaine sévérité mais simplement parce qu'elle ne parvenait pas à aborder la délicate situation qui donnait un sens à la convocation du jeune homme. La fatigue aussi. L'état du bureau était suffisamment éclairant sur son épuisement, que cela soit les photographies qui jonchaient le sol ou bien le patchwork de notes accrochées aux murs. Elle n'avait cessé de travailler depuis que le petit groupe était rentré du bidonville. Ils savaient. Ils les suivaient. Elle devait en parler à Ymane.

« J'imagine. »

Elle déplia ses doigts et sépara ses paumes, relâchant par la même occasion ses épaules. Elle amena devant elle le carnet noir qu'elle lui avait déjà présenté et l'ouvrit en pinçant les lèvres.

« Je sais que c'est un sujet délicat, commença-t-elle en laissant son regard fuir sur la carte raturée étalée sur la table. Mais ça fait une semaine et je dois rédiger mon rapport pour dans quelques jours à peine. »

Hésitation. Fermeté. Elle continua.

« Notre accord est caduque. Nous ne pouvons rien y faire et la décision t'appartient d'en rediscuter avec moi pour trouver un nouveau terrain d'entente. »

Elle espérait avoir été aussi concise que prudente mais le visage impassible qui la fixait de ses yeux pâles ne confirmait en rien son impression.

« Parce que vous me laissez le choix maintenant ? »

Elle grimaça. La situation était différente de ce qu'elle avait imaginé. Elle n'avait pourtant aucune crainte quant à l'issu de cette conversation.

« Pas vraiment. Mais je sais surtout que l'absence de choix n'y change rien. Tu... »

Elle ne trouvait pas ce bonne formulation. Tout sonnait si violent, si blessant. Elle ne voulait pas le détruire plus qu'il ne l'était déjà.

« Vous avez raison, fit-il sèchement. J'accepte. Je suis seul, je n'ai nulle part où aller et tout ce que je veux c'est qu'ils paient pour ce qu'ils leur ont fait. On a un but commun. »

Elle relâcha ses épaule de soulagement. Pas de bataille à mener en vue. Parfait. Elle n'avait pas la tête à ça. Du plat de la main elle lissa la double page du carnet et entreprit de lire à haute voix son contenu.

Ether - IntégralOù les histoires vivent. Découvrez maintenant