Les loups

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CHAPITRE I – Les loups

Bon nombre de loups se sont réfugiés dans la ville ces dix dernières années. Peut-être est – ce du à la personnalité solitaire de ces derniers ou bien parce que leur pelage est naturellement apte pour le froid. Quoi qu'il en soit il est assez simple de se procurer la vision d'un animal sauvage piochant dans les poubelles en quête d'un peu de nourriture. On en voit presque tous les jours ici. Je regrette que pas un n'ait su toquer à la porte. Ou même su parler pour que je puisse enfin avoir le plaisir de me délecter d'une conversation nouvelle et anodine. Dans l'entre de la baie vitrée, je remarque l'un d'entre eux. Son corps leste est recouvert d'une huée de moucherons affamés lesquels viennent pour assouvir leur faim. La langue pendue de l'animal confirme bel et bien sa mort qui plus est prématurée. Je ne pense pas qu'il soit décédé de faim ni de froid mais plutôt de la contagion qui semble tous les éliminés un par un et qui laisse sur le seuil de nos portes un certain nombre de cadavre.

Refermant le store je retourne vaquer à mes occupations. Sur la table du séjour réside le petit déjeuner que je n'ai pas encore entamé. Ou que je n'ai tout simplement pas voulu finir. Une brique de lait, un bol de céréales un peu sec et un œuf sur le plat. C'est tout ce qui décore ce meuble fade aux allures emblématiques.

Je n'ai pas connaissance du menu semestriel des autres foyers, mais en ce qui concerne le mien – et particulièrement au petit déjeuner – il n'est composé que de ces trois aliments dont je n'ai jamais su me lasser. C'est comme une comptine que l'on chante tout les soirs à un enfant qui ne parvient pas à s'endormir. Apprise petit, elle devient plus un souvenir qu'une répétition lassante dont on a envie de se détacher. Seulement ce matin, je ne daigne pas y toucher. Le toiser du regard me donne presque la nausée. D'un geste vif je m'empare des couverts et les rangent dans les tiroirs avant de vider l'intégralité des aliments dans la poubelle avant que la bonne ne fasse son apparition. Qui sait ce qu'elle pourrait encore raconter.

Un instant je regrette presque mon geste, me mordant la joue pour ne pas avoir penser à laisser la nourriture devant chez moi pour qu'un de ces animaux sauvages puisse s'en abreuver. Pourtant je vois encore ce geste comme un risque imprudent, et pas un quelconque geste altruiste pour la chaîne animale. Ne sachant quoi faire, j'entame ma fâcheuse routine. J'attrape furtivement la veste thermo rangée bien au fond du placard – comme si cela m'en dissuaderait – et prend soin d'enfiler des vêtements spécifiques à l'entrer en dehors. J'enfile la cagoule non pas tricotée en maille ni en laine mais dans un tissu spécifique de la fabrication du Sud et dont je ne connais pas le nom. Mes longs cheveux se fondent le long de mon dos provoquant en moi un frisson à l'échine. Lorsqu'enfin je sors dehors, la lumière m'aveugle. Il n'y a pourtant là qu'un faible rayon de soleil, pas plus. Ce qui perturbe ma vue comme chaque entrée à l'extérieur, c'est ce blanc criard qui me force à plisser les yeux bêtement et qui tordent mon visage en une grimace que je ne me permettrais pas d'admirer. Toute cette neige qui plus est n'est jamais rassasiée, recouvre le toit des bâtisse, gèle les vitres des fenêtres et encombre les entrées si les machines ne passent pas. En sortant, je n'ai même pas froid, ou peut-être juste un peu. Les vêtements chauffants qui nous sont fournis sont un véritable bijou du gouvernement, probablement la seule chose méliorative qu'il ait su faire. Sous mes pas presque pressés je sens la neige craqueler et j'aime imaginer que d'autres personnes avant moi, d'autres jeunes ont posé la semelle de leurs bottes sur ce même sol il y a des milliers d'années. J'aime imaginer quelles pouvaient être les raisons de la prise de ce chemin et les pensées qui les affublaient. Tristesse ? Jovialité ? Folie. A vrai dire je n'en ai aucune idée. Je me suis appropriée ce sentier désormais – sans même vraiment savoir si je suis la seule à le connaître. Obiit. Je l'ai nommé de cette façon car elle est la première expression qui m'ait réellement fascinée lorsque je fouillais dans d'antiques manuels de latin l'année dernière. Obiit ça voulait dire, il est mort. Et cette expression bien que morose me fascinait. Quand on arrive à ce point de la ville, les hautes maisons qui se ressemblent toutes se sont déjà éloignées. Le blanc qui les égalent n'est autre qu'une tâche secondaire dans ce décor qui semble pur. Je rejoins à petites enjambées l'autre bout du sillon. Anciennement il y avait une rivière mais l'état a trouvé préférable de l'assécher. A ce jour, ce sont d'énormes tuyaux gris parfois noirs, qui surplombent la terre gelée. Par unique ennui et parce que je me sais seule, je grime sur le parcours que forme ces petites infrastructures. Dans ma tête, j'entame le jeu du « si je tombe, je suis morte » et parviens à ne me gratifier d'aucune chute. Peut-être que je répète ce jeu trop souvent et qu'il me devient ainsi familier. Ce qu'il me faudrait maintenant, c'est un second coéquipier, quelqu'un avec qui partager une compétition histoire de pimenter les choses. Mais dans ce monde où nous sommes trop, je me sens terriblement seule. Très rares sont les gens qui sortent à leur guise, préférant le confort associatif de leur sofa à celui de l'air qui brûle nos poumons. A un moment donné, mes pieds flanchent sur une ancienne bouche d'égout. Je sens mes doigts prendre progressivement l'eau et devenir brûlés. Je place de suite ma main entre mes genoux et attend que le froid passe. Mais il perdure. Toujours. Plus fort que ceux qu'il attaque. Comme cette toux interminable que j'accuse d'abord comme étant la mienne. Mais mon corps à moi n'est pas stimulé de spasmes peu éloquents, au contraire. Je semble nager dans une santé parfaite si l'on compare ma respiration à celle de l'individu que je n'ai pas encore repéré. A quatre pattes pour remonter le fossé, je tente d'identifié le locuteur. Il suffit de trouver quelque chose qui n'est pas blanc. Le froid commence peu à peu à me tourner la tête, mais ce je ne rentrerais pas tout de suite. C'est un jour à part, un jour où je crois quelqu'un d'autre que moi dehors à cette heure si de la matinée. Brusquement, je vois une tâche verte, ou bien est-ce du marron. Je m'approche sans courir pour n'effrayer personne même si cette personne ne doit pas être capable de me semer vu son état actuel. Posté devant la devanture de toilettes publiques, un homme se tient au mur. A ma grande surprise, il semble être propre sur lui - mais sans protection quelconque. Le port du costar devrait me faire rappeler son visage. Je tape sur son épaule afin qu'il se retourne et dans un élan que j'aurais cru plus faible il me toise. Ses lèvres sont bleues désormais. A l'ombre de ses cils, on peut voir la naissance de quelques stalactites mêmes infimes qui recouvrent aussi quelques un de ses poils. Sans parler de ses yeux épuisés, je reconnais enfin l'un des collègues de mon père. Russell. Lui doit me reconnaître aussi puisqu'il murmure :

- Tu es la fille d'Alan Tucker.

J'acquiesce sans lui répondre par la parole. Maintenant, à sa voix, je suis certaine qu'il est déjà venu quelques fois à la maison.

- Que fais – tu à une heure si matinale ? me demande Russell. Est-ce qu'Alan est au courant que tu es ici ?

- Il n'a pas à l'être, je réponds. La vraie question est pourquoi vous êtes ici ?

Soudain, l'homme en costar semble se renfrogner. Il m'explique brièvement qu'il s'est perdu hier soir en rentrant du travail et qu'il a du passer la nuit dans la rue car sa femme ne lui avait pas rendu ses clés. J'en ai conclus que Russell était effectivement rentré du travail mais qu'il avait seulement trop bu pour pouvoir retrouver l'entrée de sa maison. Après un long silence, et par pitié de le laisser seul dans cet état, je lui propose de venir avec moi afin qu'il aille se réchauffer dans notre séjour. Un merci assez timide sors de ses lèvres mais venant d'un homme comme lui je lui en suis grée. Ses pas sont lents mais je pose ça sur le compte de la fatigue et non de l'alcool planant encore dans son organisme. Bien que je marche devant lui, j'entends le frottement de ses mains rougeâtres débarbouiller son visage de la neige et du givre accumulé.

A cet instant où nous arrivons devant la porte, j'entre le code et nous attendons qu'elle ne s'ouvre. Le collègue de mon père se tient courbé mais lorsque les pas lourds de mon père déjà vêtu de ses mocassins apparaissent dans l'entrée, Russell se tend aussi droit qu'un piquet et m'attrape le bras d'une manière que je ne pensais pas aussi violente. Le visage grave, on dirait qu'il va m'ôter la vie. Alan me regarde lui aussi, puis interroge mon ami silencieusement quand ce dernier lui dit :

- Elle était dehors vers six heures quand je suis sortie prendre l'air ce matin. Je ne sais vraiment pas ce que foutais ta fille à cette heure-ci près de chez moi.

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⏰ Last updated: Dec 31, 2022 ⏰

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