Je ne suis pas un cheval qu'on achève

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Le coucher du soleil. Je ne peux m'empêcher de sourire en le voyant. Il y a deux semaines à peine, je haïssais cet instant. Le soleil qui se couchait, cela voulait dire la fin de l'éreintante besogne pour enrichir nos tortionnaires, certes, mais aussi le retour en captivité. La nuit, nous la passions attachés à de grands poteaux de bois, debouts, vidés de notre énergie par le minage d'une pénibilité ridicule, et pourtant incapables de nous reposer car maintenus sur nos deux jambes par ces fous furieux de la Sainte Nation. Et puis ces entraves. Imaginez-vous, des heures durant, les bras tordus vers votre dos, les muscles qui s'engourdissent jusqu'à vous rendre fous, les crampes, l'impossibilité de s'endormir car le corps est tordu par la douleur. Et une poignée d'heures plus tard on vous détache, libération, mais vous devez retourner fracasser des roches sous la menace constante de vos bourreaux. Voilà pourquoi je haïssais le coucher du soleil, car il provoquait tout cela pour moi, cette douleur, cette impossibilité de bouger, ce froid aussi qui accentuait mes souffrances. Mais aujourd'hui, tout ça c'était fini !

"Allez, les gars ! C'est jour de paye ! - Chef, oui, chef !!" répondons-nous en coeur à l'appel de notre commandant avant de dévaler la douce pente d'une colline de sable fauve qui nous séparait du Hub, à l'horizon. Nous courons, aussi vite que nous pouvons, les uns à côté des autres, hurlant notre joie de gagner notre pitance. Autour de moi, une dizaine d'anciens esclaves, avec la même histoire que moi, les mêmes angoisses et le même bonheur de pouvoir courir en s'époumonant dans cet immense désert que nous parcourons. Et devant nous, ouvrant la course, le commandant Victis.

Lui aussi était un ancien esclave, mais voilà des années qu'il s'était libéré de ses chaînes. Comme moi, comme tous nos compagnons, il s'était alors juré de ne plus jamais être entravé, de ne plus jamais être forcé à l'immobilité et au travail par nos cruels anciens maîtres. Alors, il nous a recueilli, l'un après l'autre, chez ce qu'il nomma les Coureurs. Leur crédo était simple : courir, tout le temps, le plus possible, en ne s'arrêtant presque jamais. Car la course c'était la liberté, car la course c'était la survie. Ce pauvre ancien esclave n'avait, en effet, trouvé qu'un seul moyen de survivre au terrible monde qui était le nôtre : le pillage, le banditisme. Et pour survivre à ce mode de vie, il fallait tout le temps être poursuivant ou fuir ceux qui nous poursuivaient.

Ce mode de vie, le commandant ne l'avait pas inventé, non. Il s'était inspiré d'une autre bande croisée au hasard des routes, qui lui avaient offert le gîte et le couvert, reconnaissant l'un des leurs échappés de la Sainte Nation, mais il ne resta pas avec eux. Il préféra mener sa route seul, former sa propre confrérie, être le berger qui mènerait d'esseulés moutons à la véritable liberté. Il devint le guide de tous ses compagnons, recrutés au fil des courses pour leur offrir un meilleur destin que la capture ou la mort. La bande se mit à grossir, à prendre des forces, si bien que rapidement une douzaine de Coureurs arpentaient la vaste Zone Frontière. Et je faisais désormais partie de cette bande, moi, promis à la servitude et à l'oubli... Mon bonheur ne connaissait plus de limite.

Chaque jour, chaque soir, c'était le même rituel. Nous escaladions une hauteur pour avoir une large vue sur ce qui nous entourait et nous observions afin de repérer, quelque part, une proie facile à chasser. Et ce soir, enhardis par sa nouvelle recrue, c'est-à-dire moi, le commandant décida que nous pouvions prendre plus de risques, pour une plus grande récompense qu'il nous était vital d'obtenir.

En effet, nos stocks de nourritures, et surtout de remèdes, étaient presque épuisés. Les Coureurs étaient au plus mal. Gunar, un des plus anciens membres de la bande, avait été mordu par un coyote particulièrement féroce et sa plaie menaçait de s'infecter. La plupart de nos confrères mourraient de faim, ce dont je me sentais responsable car, lorsqu'il m'avait recueilli, le commandant Victis m'avait donné profusion d'eau et de nourriture pour que je reprenne des forces. Mais c'était, en réalité, une bonne partie des dernières réserves de la bande et, depuis, nous n'avions pas vraiment eu l'occasion de nous refaire.

Je ne suis pas un cheval qu'on achève. - Nouvelle, Kenshi (jeu-vidéo)Where stories live. Discover now