Prologue

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« La réalité se fait toujours plus douce que nos pressentiments... » répéta Charles encore une fois, tandis qu'il appuyait sur le bouton de l'ascenseur. Ce proverbe lui avait toujours réussi. Il l'avait encore utilisé trois jours auparavant alors qu'il craignait de ne pas conclure la plus grosse vente de sa vie. La nuit précédant la signature du contrat, il n'avait pas pu trouver le sommeil, imaginant l'un après l'autre les pires scénarios possibles, de l'irruption d'un associé révélant des promesses de vente aux pays asiatiques au simple conflit de personnalité entre lui et le ministre. Finalement, le jour venu, sa maxime préférée s'était révélée exacte. La vente s'était conclue sans aucun accroc, créant la réalité la plus douce qu'il ait jamais connue, l'obtention de son premier million de dollars. Les pressentiments n'étaient restés que ce qu'ils étaient, de vagues intuitions, exagérées sous l'influence de ses émotions.

Mais aujourd'hui, la voix d'Antonia lui avait parue suspecte au téléphone. Elle lui avait demandé de rentrer plus tôt, prétextant que l'un des enfants était souffrant et qu'il réclamait son père. C'est surtout le ton qu'elle avait utilisé qui présageait quelque chose de plus grave. Sa femme était peut-être fâchée, soit parce qu'Allison souffrait plus que la veille, soit car Roman avait encore fait des siennes. L'idée bien pire qu'elle aurait pu avoir connaissance de sa liaison avec Lana lui traversa même l'esprit.

Il finirait par savoir de quoi il en retournait et pourrait alors envisager la meilleure solution à employer, comme il savait si bien le faire. Peut-être s'agissait-il d'une fête surprise pour la signature du contrat après tout. La tonalité de la voix d'Antonia ressemblait à s'y méprendre à celle de l'appel suspect qu'elle avait fait il y a peu, pour qu'il se dépêche d'arriver à son repas d'anniversaire. Dans le pire des cas, ce qui l'attendait chez lui ne serait pas plus décevant que cette fête ratée à laquelle il avait dû assister.

Charles expira d'un coup sec. La douleur qui lui étreignait la poitrine s'atténua légèrement. Il passa lentement la main dans ses cheveux, rabattant la longue mèche blonde qui lui couvrait le front derrière l'une de ses tempes grisonnantes. Ce geste, il pouvait le faire des centaines de fois par jour. Inconscient et pourtant inévitable, il lui permettait de remettre derrière lui les obstacles qui semblaient lui barrer la route. Tout allait bien finir. Chez les Kepler, la réalité est toujours plus douce que les pressentiments.

10 minutes plus tard, un corps inerte tombera sur le plancher de son appartement.

Le trajet en ascenseur parut être une longue montée aux enfers, tant la chaleur et l'humidité qui régnaient dans l'habitacle étaient suffocants. Les mains de Charles étaient moites et son cœur s'accélérait au rythme des étages. Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent enfin sur le hall d'entrée, il comprit qu'il allait devoir faire face à une situation inattendue. Toutes les lumières de l'appartement étaient éteintes. L'endroit était beaucoup trop calme pour que ses enfants de 3 et 8 ans soient présents. Une telle tranquillité était inhabituelle. Ce n'était pas l'heure de la sieste. Chaque fois qu'il était rentré avant 17 heures, il avait trouvé Allison et Alvaro en train de jouer dans le petit salon.

Passant la tête dans la salle de jeux des enfants, Charles comprit que leurs activités ludiques avaient été interrompues de façon brutale au moment où il remarqua les nombreux jouets qui jonchaient le sol. Antonia n'aurait jamais permis qu'ils laissent leurs jeux de cette façon. Elle les aurait obligés à ranger immédiatement de peur que Charles aperçoive les dégâts et se mette en colère. Il aimait que tout soit en ordre, mais il aimait par-dessus tout que les autres en tiennent compte. N'importe quelle personne qui le connaissait bien savait qu'un tel bazar était inacceptable.

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⏰ Last updated: Jan 24, 2023 ⏰

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Les cicatrices de notre mondeWhere stories live. Discover now