Chapitre 4

42 3 0
                                    

Il était environ 10h et je regardais de loin le petit groupe de rescapés du Labyrinthe D se faire conduire vers les douches après avoir passé une nuit dans l'entrepôt. Tous semblaient hagards et épuisés. Je ne connaissais aucun d'entre eux. Et je ne les connaîtrais sans doute jamais. Du moins pas réellement.

Le cœur comme anesthésié, je léchai le chocolat qui avait fondu sur mes doigts au moment où ils quittèrent le hangar d'arrivée. Depuis que j'étais là, c'est-à-dire trois jours, je n'arrêtais pas de grignoter. Je mangeais ma peur, mon angoisse, ma peine. Une façon comme une autre de fuir. Manger me donnait l'illusion d'avoir un contrôle sur ma vie.

Je partis de la salle, le plan du bâtiment toujours dans ma main bien que déjà presque inutile. Au bout de quelques minutes, j'arrivai devant la cantine des "sujets". Les survivants B et C y étaient attablés et leurs mouvements raides et lents trahissaient la fatigue qui les accablait.

Plusieurs têtes venant du Labyrinthe B firent de nouveau remonter d'anciens souvenirs des tréfonds de ma mémoire. N'étant pas en charge directe de ce Labyrinthe, je ne les avais pas vus depuis de nombreuses années. Sauf Aris et Rachel. Ces deux derniers étaient accrochés l'un à l'autre, comme avant leur perte de mémoire, et grignotaient à peine. Cette vision me brisa le cœur autant qu'elle me réconforta.
Le sérum ne faisait pas disparaître entièrement la personnalité des gens ni leurs affinités. Par contre, il les détruisait au plus profond de leur être. Et rien ne les réparerait jamais. Ils pourront seulement essayer de se reconstruire.

Soudain, le blond croisa mon regard et je me reculai vivement afin de ne plus être visible par la vitre. Mon cœur pulsait dans ma tête.
Putain. Putain, putain, putain. C'était pas censé arriver. Ils ne devaient pas savoir que j'existais. Merde... J'espérais qu'il ne le dirait à personne...

Je partis rapidement en sens inverse et fis de nombreux détours avant de rejoindre la cantine du personnel dans laquelle je bourrai mes poches de nourriture puis enfournai une énième barre chocolatée dans ma bouche.

Malheureusement, je fus interceptée à la sortie de la pièce par deux gardiens qui m'escortèrent jusqu'à la salle de travail dans laquelle j'aurais dû être. Le point positif de cet endroit était que je n'étais plus constamment surveillée. Par contre, j'avais accès à beaucoup moins de pièces qu'avant.
Après quelques reproches, peu aboutis à cause de la pitié que ressentait ma nouvelle supérieure à mon égard, je repris place devant un écran pour assister aux événements du Labyrinthe A.

Je n'en avais vraiment pas envie. Je n'étais pas sûre de tenir en voyant de nouveau mes amis via des écrans et en constatant les pertes de la nuit précédente. Malheureusement, c'était mon travail et je me retrouvai à observer avec horreur Gally prendre la direction du Bloc et tenter de sacrifier les deux nouveaux arrivants. Ce garçon m'avait toujours fait peur mais je ne le croyais pas foncièrement méchant. Il semblait juste constamment perdu et effrayé. Par chance, il n'arriva pas jusqu'au bout de son idée. Un petit groupe mené par Thomas se mit en route tandis que les autres reprenaient leurs activités sans grande conviction. Certains d'entre eux se cachèrent pour pleurer, me déchirant par la même occasion un petit peu plus le cœur.

Je suivais le combat contre les Griffeurs avec appréhension lorsqu'un mouvement sur un écran à quelques mètres attira mon regard. Gally rentrait dans le Labyrinthe, des feuilles à la main et accompagné de Hank, un coureur. Je me rapprochai de l'image, délaissant le groupe du brun.
Ne pouvant pas les entendre, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Jusqu'au moment où je vis les veines noires sur le cou du Maton et son couteau pointé vers le dos de l'autre, le forçant à avancer. Il était piqué. Et vu la propagation, cela devait dater de la nuit précédente.

Lorsque que les deux garçons arrivèrent au niveau de la porte de la section, le lieu était vide. Gally l'observa pendant de longues minutes avant d'arriver à la même conclusion que Thomas. Il demanda l'ordre d'ouverture des sections à son camarade. Mais lorsque ce dernier arriva à la fin de la série, un Griffeur remonta sur la plateforme. Les deux garçons s'engouffrèrent dans la pièce dès qu'ils le purent et le blond tenta de faire fermer les portes en appuyant à de multiples reprises sur le bouton. Malheureusement, elles étaient si lentes que le Griffeur eut le temps d'arriver jusqu'à elles. Au moment où ils pensaient être enfin saufs, le dard de la créature transperça l'abdomen du Coureur, empêchant par la même occasion la fermeture complète.
L'autre adolescent se précipita dans le fond de la pièce, trouva la porte et s'enfuit dans le couloir aux néons tremblotants.
Lorsque la lumière verte de la sortie de secours l'éclaira, le garçon se laissa tomber contre le mur. Ses épaules furent secouées de tremblements pendant à peine quelques minutes avant qu'il ne se redresse, essuie ses larmes d'un geste rageur et franchisse la porte. En passant à côté des corps, il attrapa le pistolet d'un garde qui n'en aurait très probablement plus besoin. Puis il entra dans la dernière salle. Celle où se trouvaient les autres blocards en train de choisir de quitter le bâtiment. Il se posta derrière eux, droit sur ses jambes et lança d'une voix forte :

« Non. »

Tous se retournèrent vers lui mais personne ne semblait réellement ravi de le revoir. Les yeux de Térésa l'analysèrent rapidement avant d'arriver à la même conclusion que moi. Je chuchotai en même temps qu'elle :

« Il s'est fait piquer. »

Tous le regardèrent avec horreur en se mettant en position défensive.

« On ne peut pas se sauver.

— Si, Gally... On peut sortir... On est libre.

— On est libre ? Tu crois qu'on est libre dehors ? Non... On ne peut pas s'échapper du Labyrinthe... »

Des larmes quittèrent de nouveau ses yeux lorsqu'il leva son arme en direction de Thomas.
Je voulais partir. Je voulais quitter cette pièce. Je ne voulais pas voir ça. Je ne voulais plus voir mourir des amis.
Le brun leva légèrement ses mains dans une tentative d'apaisement.

« Gally, écoute-moi... T'as pas les idées claires, d'accord ? On va t'aider. Mais d'abord, tu dois poser ce flingue.

— J'appartiens au Labyrinthe... Comme tous les blocards...

— Gally ! »

Thomas recula d'un pas. Le hurlement du petit Chuck me transperça le cœur.

« NON ! »

Un coup de feu retentit. Je réprimai le hurlement qui menaçait de quitter ma gorge. Tout se passa très vite et très lentement à la fois. Et je vis tout, assaillie par les dizaines d'écrans qui reflétaient leur lueur bleutée sur les verres de mes lunettes.
Je vis Chuck se jeter devant Thomas et tomber au sol. Je vis la lance de Minho voler et transpercer le corps de Gally.
J'entendis le hurlement de Thomas. J'entendis le crissement du crayon d'un des scientifiques sur un carnet.
J'inhalais l'odeur d'hôpital de l'endroit où je me trouvais, en parfaite opposition à celle, âcre, d'où se déroulait la scène.
Je sentis les larmes couler le long de mes joues.
Je goûtai à leur sel lorsqu'elles arrivèrent sur mes lèvres.

Je ne voyais plus. Ou plutôt flou.

J'entendis les suppliques de Thomas.
J'entendis l'arrivée des hommes de WICKED dans la salle du bâtiment désaffecté.
J'entendis les protestations du groupe.
J'entendis ma supérieur dire de lâcher les Griffeurs au centre du Labyrinthe.
J'entendis mon cœur se briser.

Et je ne voyais plus. Je n'entendais plus. Je ne respirais plus. Je ne sentais plus. Je ne goûtais plus.

J'avais seulement la sensation persistante d'être morte de l'intérieur.

WICKED is good....Where stories live. Discover now