Chapitre 1

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- Tu avais l'air soucieuse. Me fait remarquer Euryale.

Nous déambulons mes sœurs et moi à travers le marché de la cité, le ventre désormais plein. Toutes sortes d'effluves d'épices viennent chatouiller mon nez alors que mon regard ne cesse de se promener. Outre les festivités, le marché est le lieu de rendez-vous de toute la cité et l'endroit le plus animé. Les élus se mélangent aux esclaves, toutes les classes sociales se confondent et discutent ensemble. Plus aucune hiérarchie n'existe et on pourrait presque les confondre si leur tenue n'était pas un indicateur de celle-ci. Tout le monde aime ce moment, pas moi. Je n'aime pas me mêler à la foule, je me sens totalement vulnérable entouré de tous ces habitants, de tous ces regards. Je préfère les couleurs chatoyantes de mon temple au camaïeu de couleur de ce marché. Euryale, un panier au bras, me dévisage. Je bats lentement des cils et me contente de hausser les épaules ne sachant comment exprimer mon trouble à mes sœurs sans passer pour une folle. De toutes façons, elles ne comprendraient pas, plus âgées que moi, elles ont tendance à me trouver trop rêveuses et imaginative. Elles sont plus matures et sûres d'elles, mes inepties leur paraissent dérisoires. C'est peine perdue.

Elle soutient mon regard longuement, ses grands yeux noisette m'épient comme elle sait si bien le faire. Si Sthéno est une femme droite et presque froide, Euryale a un côté plus maternel même si elle reste intransigeante. Elle est la seule à pouvoir lire en moi comme dans un livre ouvert. Je lui ferme donc mon âme en détournant le regard. Je sens mes joues rougir sous le malaise. Je balaye mes pensées d'une main invisible et contemple, pour passer à autre chose, un étal d'olives fraiches, issues de la nouvelle récolte, mon regard parcourt les fruits ronds et verdoyants comme si je les découvrais pour la première fois. Elles ont l'air succulentes et ce serait une offrande parfaite pour la déesse à ajouter à son autel. Un pâle sourire étire finalement mes lèvres, mon cœur s'apaise, une douce vague de chaleur glisse sur ma peau. Mes yeux remontent vers le marchand. Mon cœur rate un battement lorsque j'y découvre de grands yeux me dévisageant plus que de nécessaire. Un sourire poli étire mes lèvres, mes yeux se plissent pour l'accompagner, je suis habitué à ce qu'on me regarde longuement. Je ne dirais pas que j'ai quelque chose de plus que les autres, mes traits sont fins, c'est un fait, mais j'aurais besoin de plus de mes deux mains pour compter le nombre de femmes que j'admire dans cette cité. C'est pourquoi, je ressens toujours un peu de surprise lorsque l'on me dévisage avant tant d'ardeur. Mes joues rougissent alors et j'ouvre la bouche pour passer commande à ce marchand en avançant la main.

Rapidement, des doigts viennent frapper les miens et Sthéno m'ordonne :

- Ne soutiens pas son regard.

Je fronce les sourcils, mais baisse immédiatement les yeux vers mes sandales comme ma sœur me l'a demandé. Mon corps se fige, je n'ose plus bouger alors que je sens toujours le regard de l'homme sur moi. Sthéno attrape mon bras sans me laisser le temps de faire quoi que ce soit. Elle me tire à sa suite loin de l'étal.

- Prêtresse Médusa, c'est bien cela ? Il me demande alors que nous tournons les talons.

Les doigts de ma sœur se resserrent sur mon bras, elle a peur que je me libère alors que je suis bien incapable de la froisser, j'ai tout de même le temps d'entendre le Marchand s'exclamer.

- Votre beauté ne connaît pas d'égal.

Je grimace lorsque ma serre tire plus fort, elle me fait mal, mon chiton n'est pas assez épais pour amortir sa poigne, j'aurais sûrement des bleus sur ma peau laiteuse à cause de cela.

- Par tous les dieux, il va nous attirer les foudres d'Aphrodite. Soupire Euryale.

Elle tend la main pour remettre mon voile en place, cachant au plus mon visage. Je ne suis pas froissée, je comprends pourquoi elles réagissent de la sorte, la colère des dieux est puissante et nous avons grandi avec le mythe de Psyché, alors elles ont peur pour nous. Peur des dieux, mais aussi peur des hommes.
Toutes les femmes adulées dans ce pays pour une caractéristique sortant de la norme ont conduit à une tragédie, Hélène et Troie, Arachné et Psyché.
Bien avant de devenir prêtresse, nous étions des jeunes filles à marier et mes sœurs ont assisté au défilé de prétendants qui quémandaient ma main auprès de mon père. J'étais trop jeune pour comprendre, mais elles, elles ont été témoins des offres faites et des vulgarités prononcées à mon égard lors des banquets. Ce n'est pas de la jalousie, entendre votre jeune sœur se faire comparer à un morceau de viande à de quoi vous marquer l'âme.
C'est terrifiant, je l'accorde, c'est pourquoi je comprends et je leur obéis toujours. Elles sont plus sages et savent quoi faire pour nous protéger. Leur peur fait écho en moi.

Les Larmes de Méduse Where stories live. Discover now