XVIII. Partir

28 4 9
                                    

Le départ.

Cette douleur sans nom déchira le cœur de Yugo, alors que la petite ferme disparaissait derrière la colline.

Il ne se souvenait pas d'être allé plus loin que le village de Hautclair. Il n'avait jamais eu envie de franchir le Bois de Civère, clair et calme, qui cernait les collines d'Hauclair et qui, au-delà, laissait apercevoir les pics des Montagnes du Grand Est. Il ignorait d'ailleurs comment elles s'appelaient, et n'avaient pas l'intention de le savoir.

Il ne verrait plus Lulli. 

Elle était gentille, Lulli. C'était la fille du forgeron, qui habitait au plein cœur du village. Il avait espéré, il y a peu de temps, qu'elle accepterait de danser avec lui, au prochain bal du village. Avec sa chevelure blonde comme les blés, ses adorables tâches de rousseur sur le nez et son regard noisette si doux, elle avait toujours été très douce avec lui. 

Ses grands-parents lui manquaient affreusement. Ils attendaient avec lui de savoir si Lulli l'accepterait.

Si elle voudrait bien être fermière avec lui. 

C'était fini.

Chaque pas qui l'éloignait de la maison, l'éloignait de cette vie douce et rêvée.

Le cahot des chevaux tonnait dans sa tête comme mille tempêtes, si bien que Charon finit par briser le silence en devinant l'esprit torturé du jeune homme.

"Fils? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Père, j'ai peur, dit ouvertement le jeune homme.

- Qu'est-ce qui te fait peur, mon garçon ?

- J'étais bien, père. J'étais heureux. J'ai l'impression que je perds quelque chose d'important. Mon cœur se sert et se sent plus vide que jamais. Grand-père et Grand-mère me manquent tant ! Et... il y a Lulli.

- Oh."

Charon était si étonné qu'il en oublia de réprimer un sourire. Yugo, amoureux? La petite Lulli était une charmante enfant, la dernière fois qu'il l'avait vu. 

Le Maître des Lames avait pris l'habitude d'éviter les cités et les villages pour éviter d'être reconnu, et son village natal, Hautclair, ne faisait pas exception. Le village était maintenant peuplé d'anciens camarades de jeunesse. Il n'avait gardé aucune animosité, mais aucune grande amitié non plus. Son enfance remontait à bien trop de printemps, et le grand départ, pour lui, était tellement ancien qu'aucune attache n'était assez forte pour lui donner envie d'y passer, s'il n'en était pas obligé.

Mais il semblerait qu'en ce jour, un petit détour vers le village allait être une bonne chose.

"Je crois que mon cheval a besoin d'un nouveau mors. Que dirais-tu de passer au village avant de partir ? 

- Mais, je croyais que nous devions rejoindre au plus tôt la Mer Nosastra ?" interrogea Yugo, dissimulant mal son excitation.

- Féru appréciera, crois-moi. Et ça te laissera le temps de parler à Lulli."

Yugo rougit, ce qui fit sourire Charon beaucoup plus franchement.

"Tu lui poseras cette fameuse question qui te brûle les lèvres."

Yugo râla, mais son cœur, déjà, était beaucoup plus léger à l'idée de savoir qu'il pourrait au moins revoir, une dernière fois, Lulli, et lui poser cette question qui lui brûlait les lèvres.

*****

Sur la grand place toute pavée du village, l'heure était au marché, avec les gens qui bavardaient dans un brouhaha sans nom, marchant au rythme des sabots qui claquaient sur les pierres et les coups de marteaux de la forge. Les grandes maisons, faites de pierre et de bois, voyaient la bordure de leurs fenêtres fleuries de crocus, les premières fleurs du printemps. On y sentait de part et d'autre l'odeur du pain fraîchement sorti des fours de la boulangerie, et celle du café torréfié venu de loin vers le sud, aux bordures de la mer Sole. La chose la plus exotique qui existait par delà ces terres reculés de l'est. 

DraconistesWhere stories live. Discover now