Chapitre 2

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La salle de rédaction de Star Hebdo était plongée dans un silence suspect. Jimin fit mentalement une prière, plaqua sur ses lèvres un sourire décontracté et poussa résolument la porte. Le silence s'amplifia. Ce qui n'avait rien de vraiment surprenant, compte tenu du fait que les locaux étaient déserts. Ou presque. Seul, Seojoon, le mille-pattes de la rédaction, était penché sur la table de montage, cerné par un éventail de photos, un sandwich passablement desséché et une loupe à fort grossissement.

Jimin se faufila vers son bureau avec un soupir de soulagement et se délesta rapidement de sa veste et de son fourre-tout. Apparemment, les travaux sur le réseau routier avaient été une surprise pour tout le monde.

_ Salut !

Seojoon pivota à demi, et cligne des yeux derrière ses lunettes rondes.

_ Oh, salut.

_ Où sont les autres ?

_ La moitié n'est pas encore arrivée. Le reste est allé manger.

_ Tout le reste ?

Il se replongea dans ses photos avec un petit haussement d'épaules.

_ A quatre-vingt-quinze pour cent. Les cinq pour cent manquants auxquels tu penses sont enfermés dans le bureau de notre directeur bien-aimé. On est vendredi.

C'est vrai, on était vendredi. Le jour du poisson, et celui où le propriétaire de Star Hebdo venait se balader dans les locaux de son enfant chéri. Jimin se laissa tomber sur sa chaise avec un petit sourire. Certains sexagénaires cherchaient un deuxième souffle en s'amourachant d'une gamine tout juste inscrite sur les listes électorales, d'autres craquaient sur un yacht ou un jet privé dernier cri. Lee Jehon, lui, était amoureux de son journal. Et en bon soupirant qui se respecte, il venait rendre hommage à sa belle tous les vendredis matin, qu'il pleuve, qu'il neige...ou que Séoul soit paralysé par une invasion de travaux surprise.

Un tel entichement aurait pu paraître ridicule, surtout de la part d'un homme auquel on connaissait peu de faiblesses, et qui dirigeait d'une poigne de fer une entreprise d'import-export par ailleurs très florissante. Mais c'était compter sans le miracle de l'amour, et à cet égard, Lee Jehon était indéniablement un grand miraculé. Non seulement, il n'était pas ridicule, mais il était attendrissant. Il fallait l'avoir vu, ses cheveux gris ébouriffés par un élan d'enthousiasme, les yeux brillants, la cravate un tantinet de travers et les doigts maculés de taches d'encre, pour le croire : ce grand garçon de soixante-quatre ans avait l'âme d'un gamin. Il jouait du stylo et de la rotative comme d'autres s'amusent avec un train électrique. Ses vendredis matin étaient tout à la fois sa cour de récréation, son rendez-vous galant et sa cure de rajeunissement.

Jimin fronça les sourcils. Sa cure de rajeunissement. Voilà le hic. On ne lui ôterait pas de l'idée qu'il y avait du pied fourchu là-dessous. Sinon, comment expliquer qu'un homme apparemment sain d'esprit ait délégué ses pouvoirs à Kim Jaebum, écrivain raté et alcoolique réussi, qui transformait jour après jour la salle de rédaction de Star Hebdo en un enfer permanent ?

Jimin leva les yeux vers le premier étage où Satan incarné devait faire patte de velours devant le Grand Manitou en attendant son heure, et ouvrit l'enveloppe brune qui renfermait son article remanié. "SEO YE JI : UN ANGE PASSE...". C'était ce qu'on pouvait appeler un titre prémonitoire, décida-t-il avec une petite grimace. Pour passer, il allait passer. Droit sous les fourches caudines de Kim Jaebum, avec la corbeille à papier en guise de terminus.

Il reposa l'enveloppe d'un geste découragé et se tourna vers Seojoon. Il continuait à plancher sur ses photos, indifférent à tout ce qui l'entourait.

Plume vs voyou, étincelles assurées ! - JIKOOKDonde viven las historias. Descúbrelo ahora