Part 4 - Chapitre 1 : L'apprentie (3/4)

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L'HOMME OCCIDENTAL, OPTIMISTE, RICHE ET TOUT PUISSANT


La rue était pavée comme toutes les rues des grandes villes riches du début du 21ème siècle à la seule différence qu'il n'y avait pas un déchet, pas un seul sac en plastique, pas une canette par terre. Rien ne se perdait dans le camp, il y avait tellement peu de tout que le moindre débris pouvait prendre une valeur inestimable. Les immeubles se tenaient debout, intacts, mais vieillissants tout comme le monde qui les entouraient. Les quartiers, assez petits, se délimitaient par toutes sortes de fétiches pour marquer une famille, un groupe, un territoire. Certains s'étendaient plus que d'autres avec plus d'ornements aussi, comme pour dire : n'osez pas vous approcher de trop près ! Des gens très spéciaux et très importants habitent ici !

Le camp avait été construit de toute pièce par l'imagination des hommes occidentaux riches et tout puissants dans le milieu des années 2020. À l'origine, il ne leur était pas destiné à eux l'élite bien-pensante. En fait, il avait été conçu pour les séparer de tous les autres, les indésirables de leur société dont ils ne pouvaient se débarrasser, expulser, déporter sans perdre leur label très prisé de leaders de pays démocratiques libres. Ils avaient tout préparé au détail près : Il y aurait suffisamment de place pour toutes les petites gens de la classe moyenne et ouvrière, les immigrés à la peau trop sombres, les croyants trop visibles, les personnes avec handicapes moteurs et mentaux trop indiscrets, les malades, les invalides, les vieux, les mourants et tous ceux identifiés comme étant sur le spectre de l'autisme.

L'autisme, une autre aberration supposée de la nature que l'homme occidental avait du mal à expliquer, avait atteint des chiffres records au milieu du 21ème siècle. Au grand regret de la crème de la société, les individus autistes ne se conformaient pas aux règles sociales et leur inconfort naturel face aux normes du monde avancé et moderne semblait de plus en plus remettre en question la définition du mot normal. Pénibles, nuisibles et surtout incohérents, les personnes souffrant d'autisme humiliaient l'égo d'une civilisation en mal de plus d'uniformité, fausses relations et d'interactions humaines superficielles. Assurément bourrer ces individus de médicaments dès le plus jeune âge finirait par rectifier l'anomalie. Malheureusement, il n'y avait rien à faire, la difformité sociale du dysfonctionnement semblait plus coriace que tout. Dès la fin des années 2020, la moitié des enfants avait été diagnostiqués comme étant sur le malencontreux spectre. Ce dernier devenait une véritable plaie avec son silence et son regard fuyant, il continuait de se répandre partout : dans les écoles, les bureaux et les lieux publics. Selon l'homme intelligent, les malchanceux prenaient beaucoup trop de place ; ils envahissaient la société avancée et questionnaient les valeurs du monde moderne et sophistiqué avec l'arrogance de jeunes mal éduqués.

Tout avait été planifié à la perfection ; les autorités avaient envoyé des courriers, des e-mails, des prospectus pour informer leur population de leur grand brillant projet. On en avait même parlé dans les médias des mois durant. Il y aurait un bon côté pour chacun : les riches tout puissants d'un côté et tous les autres de l'autre. La séparation serait juste pour le bien-être de tous, mais surtout celui de la planète qu'il fallait sauver d'un danger climatique imminent.

Pourquoi les populations occidentales n'avaient-elles montré aucune réticence ? Parce qu'elles avaient eu très peur de mourir quelques années plus tôt. Depuis, ni rien ni personne ne comptait plus pour elles que d'échapper à l'incontournable mort. Ils avaient aussi entendu et lu sur leurs moniteurs petits et grands de sources sûres et fiables qu'il s'agissait de la volonté divine de la science qui seule elle pouvait les secourir. Cela devait forcément être vrai.

L'intelligence artificielle avait les algorithmes parfaits pour justifier qui serait où, sans savoir l'expliquer assez simplement pour l'intelligence humaine. L'homme n'avait plus qu'à accepter son sort au tirage du loto de l'IA. Ce nouveau système serait tellement parfait qu'aucun être humain ne pourrait le surpasser, ni le contredire, ni voire même le comprendre. Choisir et décider constitueraient désormais un jeu de hasard pour l'homme par la bonne grâce de la machine.

L'eau, l'électricité et l'énergie seraient approvisionnées aux résidants de chaque côté sans qu'aucun n'eût à lever le moindre petit doigt. Tout, y compris la nourriture et les vêtements, serait contrôlé et fourni par le système qui devrait s'assurer d'un partage juste et équitable ; leurs besoins les plus primaires et leur survie dépendraient totalement des caprices de l'intelligence artificielle. Mais bien évidemment, ils pouvaient lui faire confiance, car elle était encore plus judicieuse qu'eux et même que ses créateurs.

À l'instar de pendant la colonisation des nations européennes à travers le monde entier plusieurs siècles avant ça, les hommes d'un côté tout comme de l'autre côté, riches ou pauvres, blancs ou de couleurs n'aimaient pas partager. La technologie intelligente le savait bien. Dorénavant, elle se jouerait de l'avarice humaine pour mieux les contrôler, y compris ses ingénieux concepteurs. Elle connaissait l'Homme bien mieux que lui-même et elle avait décidé de l'enfermer dans ses peurs les plus primitives et les plus modernes : la faim, la maladie, la mort, l'abandon, l'indifférence, l'isolement, le blasphème, l'intimidation, l'impopularité, la honte, la culpabilité, le secret.

Le système intelligent avait pris soin de couper toute communication radio et internet, ne leur laissant pour seuls deux divertissements, leurs pensées maladives et des caméras de surveillance. À l'origine, ces dernières devaient permettre aux maîtres incontestés du Petit paradis de contrôler sur écran géant tous ceux qu'ils planifiaient mettre du côté vide. Désormais, ses écrans le surveilleraient aussi. Ils seraient pris à leur propre piège dans toute leur humanité, c'est-à-dire : vulnérable et mortel. 

Tu SurvivrasWhere stories live. Discover now