Un champ de ruine

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Accroupie derrière un muret, j'essaye de calmer ma respiration, hachée par ma course. Les coups de feu continuent de retentir autour de moi alors que je vois des corps s'écrouler un par un près de moi. Je rampe vers un corps et, avec un haut-le-cœur, commence à le fouiller pour trouver des balles. J'en attrape et les mets maladroitement dans mon arme avant de me relever. Je suis maintenant à découvert, mais je ne m'en inquiète pas. La rue est désormais déserte de toute vie.

Je m'avance vers une avenue qui me semble mouvementée, mon arme à la main, prête à tirer. À la vision d'un soldat, je tire immédiatement, sans réfléchir. En voyant le corps s'écrouler, je repense à l'époque où je ne tuais pas aussi facilement, à l' époque où je ne tuais pas n'importe quels soldats, à l'époque où il avait encore de l'importance pour moi.

Assise sur le rebord d'un muret, j'attends sa venue. Nous savons aussi bien l'un que l'autre que nous voir est dangereux, mais la jeunesse a des torts que l'âge adulte aura bien le temps de regretter. Alors que je commence à m'impatienter, deux mains se posent sur mes yeux et un doux sourire s'étale sur mon visage.

Je me retourne d'un bond pour croiser son regard bleu et son sourire tout aussi doux. Il porte sa tenue de soldat mais je n'y prête pas attention. Sur lui, pour lui, je sais supporter cette vision. D'un geste de la main il me montre une radio, qu'il allume ensuite et m'invite à danser.

Alors nous dansons, nous dansons sans se soucier qu'aucun de nous deux ne sache réellement valser. Sans se soucier de la nuit qui tombe. Sans même se soucier qu'on puisse nous voir et qu'on en soit exécutés.

Je m'avance vers le soldat sans vie et commence rapidement à le fouiller. Ma main s'arrête quelques secondes sur le pendentif qu'il a au cou. En l'ouvrant j'y vois la photo d'une petite fille. Cette vision aurait pu me faire culpabiliser, après tout il semblerait que ce soit sa fille, qu'il avait une famille, mais à la place une colère sans nom couvre mes yeux. Moi aussi j'avais une famille, deux mères aimante et surtout, un frère. J'avais un frère jumeau. J'avais une famille, mais ils me l'ont prise. Ils me l'ont volé. Je ne fais que leur rendre la monnaie de leur pièce.

La nuit est déjà tombée quand je rentre, avec le plus de discrétion possible, chez moi. Je m'apprête à crier victoire, une fois la porte de ma chambre refermée mais c'est sans compter Léo qui m'attends de pied ferme dans cette dernière. Son regard est plus sombre qu'à l'accoutumé et je sais déjà que je vais passer un mauvais quart d'heure, et encore, c'est si j'ai de la chance.

« Tu as conscience d'à quel point maman et mère étaient inquiètes ? C'est la cinquième fois cette semaine que je te couvre ! Tu as bien de la chance d'avoir un frère aussi patient ! Tu te rends compte de ce que tu fais ? Tu mets toute notre famille en danger avec tes bêtises ! Je sais que tu l'aimes mais ce n'est pas sérieux d'agir comme ça, à presque 17 ans ! Quoi ? Tu pensais vraiment que je n'avais pas deviné pourquoi tu sortais comme ça ? Je suis ton frère quand même !

- Je... je suis désolée Léo... C'est juste qu'on ne peut se voir qu'à ces heures-là... Je sais que c'est dangereux mais ne t'inquiètes pas je ne laisserai rien arriver à notre famille. Il sait qui je suis, mais il m'a promis qu'il ne le dira jamais à personne. Je lui fais confiance.

- J'espère bien que tu as raison de lui faire confiance ! On est mort si cette information court dans les rues ! il reprend sa respiration et tente de se calmer. Comme je l'ai dit, je sais que tu l'aimes et que l'amour fait faire des choses idiotes mais... mais essaye de ne pas partir aussi souvent, ou de prévenir maman et mère. Elles s'inquiètent beaucoup pour toi, tu sais ?

Un champs de ruinesWhere stories live. Discover now