Chapitre 5 - Claire

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Claire descendit – dégringola – du toit du bâtiment sur lequel elle était montée pour repérer le Passage et courut à toute vitesse vers l'immense arche lumineuse. Il fallait traverser. Juste traverser. Personne ne savait vraiment ce qu'il y avait de l'autre côté, parce que les rares expériences qui avaient été menées sur le Passage avaient eu lieu une bonne cinquantaine d'années auparavant, et les scientifiques s'étaient contentés des explications fournies à l'époque : un monde dénué de magie, où les gens vivent grâce à des machines étranges et créent eux-mêmes des problèmes qu'ils ne tentent pas de résoudre.

Voilà. C'était l'analyse d'un monde entier, effectuée en seulement deux jours, par des « experts » qui n'avaient pas visité le dixième du centième des planètes que contenait ce monde-ci. Ils n'avaient pas fait de prélèvements, pas le moindre bout de roche ou de végétal pour les comparer à ceux de Laena. Rien.

— Mademoiselle, je vais vous demander de vous éloigner, s'il-vous-plaît. C'est dangereux.

Un des gardiens du Passage – des gens entraînés pour parer à toute situation – attrapa son bras et la força à reculer. Claire lui adressa un sourire radieux et pencha la tête sur le côté. Le cliché de la jeune fille naïve dont elle avait besoin.

— Je sais bien, c'est juste que ça m'intrigues depuis tellement longtemps, je devais aller le voir de plus près !

— En pleine nuit ? En hiver ? Toute seule ? énuméra le garde, soupçonneux

— C'est vrai que c'est insolite ! rit Claire en tentant de détendre l'atmosphère. Je n'y tenais plus, et l'arche est si brillante ce soir ! Accepteriez-vous de me laisser l'approcher ? Juste un peu... allez, ce ne sera pas long !

Non, en effet, ça ne sera vraiment pas long. Je dois juste sauter dans le vide.

— Je suis désolée, mademoiselle, mais j'ai reçu l'ordre de ne laisser personne approcher. Je peux simplement vous permettre de l'observer d'où vous êtes.

— Mais ce n'est pas comme si j'allais traverser !

Bien sûr que si, mais ça, tu n'as pas besoin de le savoir... laisse-moi juste m'approcher un tout petit peu plus... juste un peu !

— Non, vraiment, je suis désolé. Vous feriez mieux de rentrer chez vous. Voulez-vous que j'appelle vos parents ? Ou que je demande à quelqu'un de vous raccompagner chez vous ?

— Merci, ça ira, maugréa Claire, faussement déçue. Il n'y a vraiment aucun moment où je pourrais voir le Passage de plus près ?

— Non. Vous comprendrez que si nous autorisions les gens à venir plus près, il y aurait tant de bousculades que beaucoup passeraient à travers le Passage. Et puis la sécurité est renforcée ce soir, donc c'est d'autant plus interdit.

L'adolescente sourit, aimable. Parfait. Elle n'avait peut-être pas réussit à faire flancher le garde, mais il parlait plus que ce qu'il ne devrait. Ça, ça pouvait être utile.

— La sécurité est renforcée ? Mais pourquoi ?

Le garde se gratta le cou, nerveux. Il était bien conscient qu'il ne devait pas parler de ce genre d'affaires. C'était confidentiel.

— Eh bien... vous connaissez sans doute Mr. Kent, de nom. Il va venir vérifier que le Passage... ne présente aucune anomalie quelconque.

— Des anomalies ? Parce qu'il est endommagé ?

— Quoi ? Non, non, ne vous inquiétez pas, c'est juste une mesure de précaution !

Claire plissa les yeux, abandonnant un instant son rôle de jeune fille curieuse. Des mesures de précaution ? Le gouvernement n'avait jamais pris aucune « mesure de précaution » pour le Passage. On y expédiait les gens les plus dangereux de Laena, et il leur importait peu de savoir si ceux-ci avaient survécu ou s'ils étaient dans l'espace, dérivant à jamais dans l'immensité noire. Ce qui voulait dire... ce qui voulait dire qu'il ne restait que deux possibilités. Soit les imbéciles du gouvernement avaient découvert une faille dans le Passage, quelque chose qui mettrait en péril l'harmonie bancale du Royaume... soit de nouveaux prisonniers allaient être renvoyés de Laena à jamais. C'était sa chance. Si elle avait vu juste ; et c'était forcément le cas.

— Bon, alors je vais vous laisser ! lança-t-elle au garde en réincarnant la naïveté dont elle avait fait preuve quelques minutes plus tôt

Ne pas paraître étrange. Ne rien faire d'anormal. Elle avait appris ces règles bien des années auparavant.

— Vous êtes certaine de pouvoir rentrer seule ? Il y a beaucoup de gens peu fréquentables, la nuit.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, je n'habite pas loin !

Elle lui adressa un sourire et un signe de la main puis tenta d'imiter la démarche décontractée des habitants d'Okuno – du moins ceux qui ne se cachaient pas après avoir noyé quelqu'un – jusqu'à atteindre le coin de la rue, où elle s'arrêta brusquement. Ils allaient forcément amener d'autres prisonniers. Et elle se précipiterait à travers le Passage à l'instant où ils les feraient sauter.

Claire se blottit contre un mur. Le mois de septembre n'était qu'à mi-parcours, mais il ne tarderait pas à neiger. Ensuite, il faudrait atteindre six longs mois pour revoir le sol, et encore, si la glace se décidait à fondre.

L'adolescente était presque endormie quand la vue d'une voiture noire comme la nuit la tira de son demi-sommeil. Le logo du gouvernement, un soleil doré entouré de lauriers d'argent, était peint sur les portières avant, et la plaque d'immatriculation était absente.

Le prisonnier.

La jeune fille se redressa rapidement pour apercevoir le prisonnier. Peut-être était-ce quelqu'un qu'elle connaissait. Les gens disparaissaient souvent sans laisser de traces, ici, que ce soit pour emménager dans les autres régions de Laena, qui subissaient des hivers moins froids, ou parce qu'ils avaient été enlevés chez eux par les agents de Hansaï. L'ancien système de police marchait si peu – trop de refus d'obtempérer, de fuites et de dommages collatéraux – qu'ils avaient décidé de... s'adapter. Donc ils avaient des clés qui pouvaient ouvrir les portes de toutes les habitations du pays. Sans exception. Donc ils pouvaient vous enlever même si vous n'aviez pas commis le moindre crime. Donc vous n'aviez pas intérêt à faire quelque écart que ce soit, où vous courriez le risque de passer une dizaine d'années enfermé pour rien.

Pas de procès.

Aucune réouverture de dossier.

Aucune protestation autorisée.

Si on vous enfermait, vous deviez purger votre peine jusqu'à la dernière seconde.

Quelqu'un. Quelqu'un sortait de la voiture.

Un agent de Hansaï. Personne ne connaissait leur identité, leur âge ou... quoi que ce soit à propos d'eux hormis ce qu'ils voulaient bien dire. Donc rien.

Il – ou elle, impossible de savoir avec la tenue réglementaire des agents – fit signe d'approcher aux deux gardes qui surveillaient le Passage. Il leur adressa deux mots – c'était vraiment un « il », vu le son de la voix – et ils se placèrent de chaque côté de la voiture. Sans doute pour empêcher le prisonnier de s'enfuir.

De là où elle était, Claire ne pouvait pas voir le prisonnier qui allait sortir, elle ne l'apercevrait que quand il se rapprocherait du Passage. Elle vit simplement les gardes prendre chacun quelque chose entre leur bras. Quoi ? Le nécessaire pour survivre, à l'intention du prisonnier ? Mais pourquoi se donneraient-ils cette peine ?

Les gardes s'avancèrent, suivant l'agent de Hansaï de près. Agent qui ne portait rien, lui. Les portières de la voiture étaient toutes fermées. Donc... il n'y avait pas de prisonnier ?

Elle comprit dès qu'elle comprit ce que portaient les gardes.

C'était les bannis de Laena, ceux qu'on allait projeter dans un autre monde.

Quelque uns des prisonniers les plus dangereux de ce monde, qui avaient même le pouvoir de le réduire en cendre.

Des gens si menaçants que le gouvernement devait s'en débarrasser à tout prix.

Autrement dit...

Deux adolescentes, frêles, pâles et sans connaissance.

Alors... verdict ? Je ne sais pas exactement quelles questions poser alors on va se contenter de la base : qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Et à bientôt !

Killer Queens [VERSION FRANÇAISE]Kde žijí příběhy. Začni objevovat