Chapitre 13 - Partie 3

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J'avais dû m'étendre et m'assoupir, car je me sentis légèrement plus dispose lors que je rouvris les yeux, après ce qui m'avait pourtant paru représenter une poignée de secondes seulement. Le grondement des flots tumultueux semblait résonner avec moins de force à l'extérieur, mais la luminosité dans la grotte n'avait point tourné et il m'était impossible d'estimer si le matin s'était levé. Des bruits de conversation mêlés de tintements de verre me parvenaient aux oreilles ; l'on ne m'avait donc point laissée seule dans cette salle souterraine. Je pris le temps de quelques respirations avant de me lever, vérifiant dans un réflexe la présence de mon pendentif sous la veste de ma robe. J'avisai au pied de la couchette mon nécessaire de soin, parfaitement rangé dans les fontes qui n'attendaient plus que d'être nouées à la selle de mon cheval.
— Bien le bonjour, Milady ! me salua le marin à l'air bourru qui m'avait accueillie sur la plage.
Lord Hawke et deux membres d'équipage étaient assis autour du dernier feu resté allumé dans la caverne. Tous me sourirent d'un air las, des tasses de porcelaine dépareillées mais fumantes entre les mains. A quelques pas, Hugh Daniels dormait sur le brancard posé dans le sable, d'un sommeil qui devait être sans rêves, considérant la dose de valériane qui irriguait son corps.
— On allait justement l'emmener, il y a moins de raffut dehors. Vous voulez un café ? Avec un peu de rhum dedans pour vous remettre d'aplomb ? poursuivit mon guide, l'œil mi-rieur, mi-provocateur.
Il ne s'attendait certainement pas à ce qu'une dame de ma condition accepte pareille proposition, mais je me fis le plaisir de le surprendre et dégustai avec une volupté non dissimulée les premières gorgées du réconfortant breuvage. Je ne pus m'empêcher de couler une œillade vers le comte de Richbury, et constatai qu'il me jaugeait avec un sourire appréciateur. Un sifflement venu du boyau d'entrée troubla soudain le calme de la grotte.
— Bartl, Harold, intervint Lord Hawke. La chaloupe est arrivée, vous allez pouvoir ramener Daniels à bord.
Les deux marins terminèrent leur boisson d'un trait et sautèrent sur leurs jambes comme un seul homme. Ils saisirent le brancard avec des précautions qui, venant de la part de gaillards de leur gabarit, auraient pu prêter à sourire, mais elles trahissaient l'immense respect qu'ils portaient à leur capitaine et mon cœur se serra d'émotion en les regardant s'éloigner.

Quelques minutes plus tard, ayant à mon tour bu la dernière gorgée de mon café corsé, je m'apprêtai à prendre congé de Lord Hawke qui était resté adossé à la paroi rocheuse après le départ de la civière. Le bruit des vagues n'était plus qu'un bruissement contre la muraille de craie, seulement troublé de temps à autre par l'un des derniers hurlements d'écume de la marée descendante. Lord Hawke prit la parole, la gorge serrée et la voix difficilement audible :
— Merci pour tout ce que vous avez fait pour lui, milady. Je sais que nous avons eu nos différends, mais à cette heure, je ne pourrais être plus heureux que nous nous soyons trouvés. Sachez que votre générosité ne sera pas oubliée.
— Ne m'offensez point, milord. Je ne suis pas en quête de quelconque récompense.
Je m'en voulus aussitôt de ma réponse, trop froide pour cet homme que j'estimais – que j'estimais seulement ? – et qui venait de vivre pareille nuit d'épreuves. Je posai ma main nue sur son bras découvert, me maudissant de vibrer à ce simple contact.
— Soyez assuré du respect que j'ai pour vous. J'ai été heureuse de venir en aide à votre ami. Sincèrement, murmurai-je.
Il leva vers moi ses yeux clairs, délavés par la fatigue et les dernières traces d'inquiétude. Il y passa soudain une étrange lueur – une lueur de... désir. Je voulus alors retirer ma main de son bras, mais il saisit prestement mon poignet, ce qui m'obligea à faire un pas vers lui. Captive de sa poigne ferme autant que de l'intense regard qui plongeait en moi, je frémis d'appréhension et d'excitation mêlée. La fièvre s'emparait sournoisement de mes reins et la tension entre nous devenait insoutenable.
— Mi... milord ? balbutiai-je.
— Amy, gronda-t-il, usant de mon prénom pour la première fois.

Et ce fut comme si c'était la première fois que j'entendais mon propre nom ; il y avait mis tellement d'intensité, tellement de... sensualité, que ce fut comme s'il m'avait révélée à moi-même. Dans mon ventre s'ouvrit un gouffre qui ne demandait qu'à être comblé. Ma respiration s'accéléra, et je sentis ma poitrine se soulever jusqu'à presque toucher la sienne.
— Amy, je vais vous embrasser, poursuivit-il d'un ton où perçait un désir qu'il ne tentait plus de contenir. Je ne sais si vous avez déjà été embrassée, mais je n'en ai cure, car je vais vous embrasser d'une manière dont je suis certain que vous ne l'avez jamais été.
A ces mots, submergée par l'envie qu'il venait d'enflammer en moi, je me sentis défaillir. Il me cueillit dans ses bras puissants ; sa bouche s'empara de la mienne et le monde autour de nous disparut. J'avais déjà été embrassée, mais il avait raison : je n'avais jamais connu pareil baiser. Ses lèvres fougueuses allumaient dans le gouffre de mon ventre un feu avide que je n'avais aucunement envie de voir s'éteindre, et je lui rendis donc son baiser avec passion. Passant l'une de mes mains dans sa chevelure, je m'accrochai à ses boucles pour ne pas céder complètement à la coulée de désir qui déferlait en moi. Mon autre main s'agrippait à son bras, dont les muscles bandés me retenaient à la taille. Mes lèvres s'entrouvrirent, et je sentis l'ardeur suppliante de sa langue contre la mienne, que lui cédai de manière absolue. Je ne sais combien de temps passa dans cette première étreinte, mais j'étais prête à m'y consumer pour l'éternité...
Le comte abandonna mes lèvres pour mon cou, puis pour mes clavicules, me faisant frémir à chacun de ses baisers. Il se glissa derrière moi sans jamais me lâcher, son souffle court sur ma nuque enfiévrée. Mon corps réclamait ardemment ses caresses, et il répondit à ma prière muette en glissant l'une de ses mains sous le corset que je portais lâche. Le frottement de sa paume calleuse sur mon sein me rendit folle, et je me cambrai contre son corps vigoureux, contre ses hanches musclées, contre son entrejambe durci.
— Milord..., soupirai-je à son oreille.
Ma supplique lui donna plus d'ardeur, et je sentis croître la violence de son désir dans le bas de mon dos. Perdue dans le plaisir qui naissait de ses caresses de plus en plus intenses sur mes seins, je ne perçus qu'à peine le mouvement de sa seconde main qui empoigna mes jupes avec fougue. Le froissement du tissu faisait écho au bruissement des vagues, et la brise d'air frais qui glissa le long de mes jambes libérées attisa le feu qui me brûlait de l'intérieur. Sa main taquina la peau tendre de mes cuisses mais, suspendant soudain son mouvement, il murmura à mon oreille :
— Je ne ferai rien qui vous soit désagréable, Amy. Vous n'avez qu'un mot à dire et je m'arrêterai aussitôt.
Tremblante et les yeux fermés, refusant de sortir du rêve que j'étais en train de vivre, je hochai lentement la tête pour lui signifier mon accord et l'inciter à continuer. Sa bouche reprit mon cou, et sa main son excitante ascension. Je la sentis qui remontait le long de ma jambe, enflammant chaque parcelle de ma peau à son contact. Le feu qui s'était allumé dans mon bas-ventre lorsque le comte m'avait embrassée était devenu un véritable incendie et grondait comme mille brasiers des enfers. Je ne me reconnaissais plus ; ses lèvres et ses doigts faisaient de moi son esclave, une esclave qui se consumait de désir pour son maître. Sa main se posa enfin entre mes jambes, contre l'endroit où mes chairs, si douces, n'attendaient que d'être embrasées. Je laissai échapper un gémissement fiévreux.
— William...
Comme en réponse à cet appel, ses doigts impudiques commencèrent à me caresser, faisant jaillir dans mon ventre des ondes inconnues qui se propageaient dans tout mon corps. Haletant de plus en plus fort, je me mordis les lèvres pour tenter de me calmer, et enfouis mon visage dans sa poitrine. Mais son odeur, dont le sel marin renforçait les notes de musc, accentua encore un plaisir que je ne parvenais plus à maîtriser.
— Aimez-vous ce que je vous fais, Amy ? me demanda-t-il, la voix sourde dans le creux de mon oreille, le regard flamboyant sur mon visage offert.
— Oui ! Oui ! Je vous en prie, ne cessez point... gémis-je.
Il poursuivit, accentua même, ses indécentes caresses ; contre son bras qui me tenait ferme, mon corps était tendu comme la corde d'un arc, prêt à céder. C'est alors qu'il me pénétra de ses doigts, allant chercher au cœur du brasier de mon ventre mes dernières résistances, et s'appliquant ardemment à les abattre. Je ne luttais plus que quelques secondes avant de m'abandonner complètement à la vague de plaisir qui me submergea.

Il me semblait avoir crié et ma jouissance et son nom mais, à présent, je n'entendais même plus le mugissement de la mer contre les parois de la grotte. Pantelante, les oreilles bourdonnantes, je luttais contre l'envie contradictoire de reprendre mes esprits et celle de savourer la plénitude que je ressentais après un tel déchaînement de désir ardent. Au bout de quelques minutes où jamais il ne cessa de me bercer contre lui, Lord Hawke me prit le menton pour tourner mon visage vers le sien. D'une voix rauque, son souffle caressant mes cils, il murmura :
— Laissez-moi vous dire à quel point vous êtes belle, Amy. Et à quel point vous me plaisez, à quel point vous me hantez... Vous éveillez en moi des sentiments que je croyais éteints à jamais, et il n'est plus une heure où je... où je ne pense à vous, à votre air effronté et vos adorables yeux d'or et de violettes. Je ne sais comment même respirer en votre présence et je m'excuse de m'être parfois comporté comme un mufle à défaut d'avoir su trouver la bonne manière d'être avec vous. Je ne prétendrai jamais avoir le droit de vous dérober votre liberté et la vie que vous vous êtes construite ; je sais que vous ne souhaitez pas assujettir votre existence à celle d'un homme et je vous respecte profondément pour cela. Vous avoir seulement comblée de mes caresses fait de moi le plus heureux des hommes, et soyez assuré que je chérirai secrètement, jusqu'au crépuscule de mon existence, le souvenir de ce si court instant volé à la réalité.
Il m'embrassa, cette fois sans ardeur mais avec mille tendresses qui me gonflèrent la poitrine d'une insondable tristesse. Puis il me quitta. Après avoir réduit mon corps en cendres avec ses doigts, et mon cœur en miettes avec ses mots, il me quitta.

Le Vent dans les bruyèresWhere stories live. Discover now