Martini-Grenadine

-- CHAPITRE 7 --

Délicatesse ou comment manger à sa faim

1. Prenez votre temps.

J'ai à cœur de préserver la planète. C'est pourquoi je m'efforce de réduire mon impact carbone au quotidien, en privilégiant les transports en commun par exemple. Certes, l'absence de voiture et de permis joue un rôle, mais mon engagement est réel. C'est vrai, je pourrais très bien me déplacer en taxi si le solde de mon compte en banque n'était pas aussi négatif. L'argent, on le sait, peut changer les gens. Peut-être que je péterais complètement les plombs si j'étais riche. Et si la richesse me rendait exécrable et encore plus autocentrée ? Et si je perdais de vue mes convictions écologiques ? L'Univers me préserve-t-il par crainte que je ne devienne une vraie pourriture ?

Bon, après... avec dix mille euros, j'ai moins de chances de devenir un suppôt de Satan. Tu m'entends Univers ? Juste dix mille euros ! Cinq mille ?

Je ne connais qu'une personne qui ne changerait pas même si elle gagnait le pactole au loto : Camille. L'abondance financière ne l'a jamais attirée. Elle fait passer les altruistes pour des saltimbanques. Le cœur sur la main, elle donne toujours plus qu'elle n'a : du temps, de l'argent, de l'espoir et de la joie. Mère Teresa dans une enveloppe de bombe. Un jour, c'est sûr, une école portera son nom à l'autre bout du monde. Ses idées de paix rallieront tant de personnes que les services secrets la prendront pour la gourou d'une secte de hippies.

Bref, loin du tumulte de la vie quotidienne, voyager en transports en commun offre une parenthèse bienvenue. C'est l'occasion de ralentir, d'apprécier le moment présent. Et si nous choisissons de nous détacher de nos écrans, nous retrouvons le calme intérieur et laissons libre cours à nos pensées. Il faut revenir à l'essentiel, me conseillait ce matin mon horoscope. Un conseil précieux qui, dans l'euphorie d'un gain à la loterie, serait bien difficile à appliquer. C'est pourquoi je suis reconnaissante envers l'Univers de ne pas avoir été choisie par la chance. Car comme le dit si bien ma mère : pour gagner, il faut d'abord jouer. Et aujourd'hui, je suis reconnaissante envers moi-même d'avoir eu la flemme de m'arrêter au tabac pour acheter un ticket.

2. Concentrez-vous sur le goût.

Je fais tout le temps ça quand je suis stressée. Je me concentre sur tous les détails d'un environnement. Chaque élément, aussi insignifiant soit-il, permet de nourrir ma curiosité insatiable. Aujourd'hui, tout me paraît différent. Même moi. 

L'agitation de la terrasse du bar où je suis assise me submerge. Autour de moi, la chaleur moite et les rires des étudiants enivrés créent une atmosphère électrique. Habillés comme s'ils étaient les rois de la nuit, ils se préparent à aller relâcher tout le stress des partiels ou du boulot sur des fréquences frénétiques rythmées par l'irrégularité de la lumière des néons dans les ténèbres. Je suis là, observant le ballet des corps et des verres, happée par le tourbillon de la vie qui continue sans moi.

C'est normal, on est vendredi. Officiellement, ce soir, débutent les grandes vacances pour à peu près tout le monde. Dès demain, la ville se videra au profit des stations balnéaires sur la côte, ou bien toute autre destination où il fera mieux vivre pendant les prochains mois. Mais moi, je reste. J'ai choisi de sacrifier les plages dorées et les soirées endiablées pour économiser l'argent qui servira à payer mes études. Un choix difficile, mais nécessaire. Stimulée par l'exaltation générale, et pour faire passer le temps, j'enfile mes écouteurs et ouvre mon application de musique. Quelques instants plus tard, le titre Summer in the city du groupe The Lovin'Spoonful se lance.