Chapitre 25

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Interlude

Elle regardait par la fenêtre de sa chambre, comme une longue rengaine inlassablement répétée. Ici, il n'y avait que ça : une télévision d'où sortaient les inepties de journalistes médiocres, une fenêtre qui laissait passer les premières lueurs du printemps, et une ribambelle d'infirmières qui venaient régulièrement la voir. C'étaient les seuls évènements qui rythmaient sa journée. Parfois, elle recevait des coups de fil, mais ils n'étaient jamais annonciateurs de bonnes nouvelles. Et parfois, son petit-fils venait la voir. Elle aurait voulu lui dire que ces moments lui étaient précieux, qu'elle en voulait plus, qu'elle voulait s'en nourrir jusqu'à en être ivre. Mais la vieille femme savait également que son petit-fils travaillait dur pour payer ses frais hospitaliers. La maladie, ce n'était pas gratuit. Elle colonisait les êtres et les âmes et faisait pleurer les Hommes. Il n'y avait presque rien de pire que cette impuissance des personnes proches qui ne pouvaient rien y faire. Souvent, elle voyait dans les yeux de son petit-fils ses rancœurs, cette haine née un soir où l'injustice avait été trop douloureuse. Elle lui répétait que cette rage, cette tempête ne lui apporterait rien, mais le jeune homme semblait fonctionner ainsi. Il se nourrissait de tout ce désespoir, parce que sinon, il ne lui resterait plus rien.

La vieille femme regardait cette fenêtre, et souriait, parce que son petit-fils venait la voir aujourd'hui, et que sa simple présence suffirait à lui donner un peu d'espoir, juste pour cette journée.

Un peu plus tard, quand il poussa la porte, elle ploya son regard sur lui, ce jeune homme qui avait grandi bien trop vite.

— Salut mamie !

— Bonjour bonhomme.

Sa voix était essoufflée, éreintée par la vie et par le lot de cauchemars qu'elle amenait dans son sillage. Il ne lui demandait jamais comment ça allait, parce qu'il ne voulait pas le savoir. L'ignorance était le plus lâche des boucliers, mais la plus sûre des défenses.

Il vint s'assoir à son chevet, et glissa sa main dans la sienne.

— J'ai eu Harry au téléphone avant-hier, il va bien aussi. Il se tient à carreau, comme je lui ai dit de le faire, et il va déjà commencer à travailler.

Lavinia était si soulagée de l'entendre.

— L'inaction ne lui va pas, répondit-elle avec assurance.

Elle imaginait sans mal son petit-fils comme un lion en cage, ce tumulte en lui. Travailler allait lui remettre les idées en place, et c'était une chance pour un détenu aussi nouveau que de se voir offrir l'opportunité de s'évader un peu.

— Il n'a toujours pas de nouvelles de Louis, ça le rend un peu fou.

Lavinia s'en doutait : Louis n'avait pas les épaules pour gérer tout ça. Elle avait demandé à son petit-fils d'en prendre soin. Et il avait échoué.

— Le petit a fait un choix, et il a décidé de s'éloigner de cette famille, c'est son droit.

— Mais mamie tu lui as tout donné ! Tout ! Et lui, il...

— Caleb, ça suffit. Louis ne nous doit rien. Malgré ses cours, et son boulot de l'époque, il m'a beaucoup aidé. Aujourd'hui, il a fait un choix, et ce n'est pas nous. Il faut l'accepter, et il faut aussi que Harry s'en rende compte.

Caleb grimaça et se recula dans sa chaise.

— Tu ne m'enlèveras pas de la tête que c'est un lâche. Harry n'a rien fait !

Lavinia secoua la tête, son cœur émietté. Non. Non, Harry n'avait rien fait, si ce n'est rencontrer les mauvaises personnes, et de s'y accrocher trop fort et trop vite. Tous les ados faisaient des erreurs, mais pour eux, et de là d'où ils venaient, les erreurs étaient fatales. Un regard de travers, une parole balancée sous le coup de la colère... Et c'était la fin. La violence venait de leurs pairs, des autorités censées les protéger, et parfois même, de leur propre famille, comme l'avait vécu Louis.

Grey - L. S. [BXB] TERMINÉE Where stories live. Discover now