EPILOGUE - FATALITE

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_ C'est à cette heure que tu rentres, Ananké ?

Le majestueux corbeaux s'installe sur l'accoudoir de mon fauteuil en cuir en un battement d'ailes et croasse, comme pour me saluer.

Je patiente un instant en tapotant des doigts contre le bois de mon large bureau.

_ Eh bien, n'as-tu rien à me rapporter ?

Mon oiseau prend son envol et se pose juste devant moi, sur la pile de documents qui s'entasse sur mon secrétaire. Ses pattes cliquettent et laissent des traînées marronnées sur le papier blanc.

Je soupire et remue la main devant lui pour qu'il s'écarte mais il continue sa comédie.

_ Pourquoi viens-tu me perturber dans mon travail si tu n'as rien de plus à me dire ?

Il lâche un cri mécontent.

_ Je vois.

J'ouvre le premier tiroir de mon bureau et sors une petite boîte remplie de vers de terre gluants. Je m'empare du premier qui se glisse entre mes doigts et le jette à Ananké qui n'en fait qu'une bouchée.

_ Plus coopératif, désormais ? je l'interroge.

Il fait un pas de plus et donne un coup de bec à mon poignet pour m'enjoindre de lui en offrir un second.

_ Tu n'en auras pas plus, je te préviens.

Le corbeau s'envole et rejoint le perchoir posé en face de mon secrétaire.

_ Voilà qui me convient davantage, je le félicite en me penchant contre le dossier de mon fauteuil les bras entrecroisés. Je t'écoute.

Son cri me perce les tympans. J'ai failli oublié le plus important.

J'agite un doigt dans sa direction et Ananké retrouve sa voix masculine habituelle.

_ Le Colosse a été libéré, Mon Seigneur. Le Phénix poursuit sa quête tendant à réunir les Célestes pour rétablir le Grand Peuple. 

_ Qu'elle essaye, je marmonne. Qu'en est-il de la contrepartie du Tisseur ? 

_ Elle est venue rebattre les cartes, Mon Seigneur. 

_ Parfait. De toute façon, cette petite morveuse peut bien se démener corps et âme, l'Envoûteuse ne lui permettra pas d'arriver à ses fins.

_ Êtes-vous bien certain de la fidélité d'Althéa ?

Je pose mes avants-bras contre le bureau afin de croiser mes mains devant moi dans une attitude sévère.

_ Ananké, je croyais que nous étions d'accord pour ne plus aborder ce sujet.

_ Je ne lui fais pas confiance, Mon Seigneur. Althéa fomente quelque chose, je le sens dans mes plumes.

A ses mots, le corbeau s'ébouriffe en écartant légèrement ses ailes.

_ Elle n'a rien à gagner en agissant contre moi. Je lui ai offert un Monde, un Royaume, un trône et une couronne. Crois-tu qu'elle serait capable de mordre la main qui l'a ainsi nourrie ?

_ Vous ne l'avez pas libérée.

Je fronce les sourcils, Ananké commence à épuiser ma patience.

_ Je ne suis pas ce genre de Dieu.

L'oiseau noir opine du chef.

_ Mon Seigneur, je crains juste qu'elle ne cherche vengeance.

_ Son Monde dépend entièrement de moi. Elle ne me trahira pas. Si elle venait à le faire, je n'aurais aucun scrupule à brûler vive son enveloppe charnelle aussi jolie soit-elle. Avec un peu de chance, l'hôte du prochain Envoûteur sera plus obéissant.

Ananké s'agite d'une patte à l'autre pour approuver mes propos.

_ Est-ce tout ? je l'interroge.

_ Non, Mon Seigneur. Ombre gagne en puissance, il a réussi à créer un lien plus étroit avec ce Marcheur que jamais auparavant. Pour l'instant, heureusement pour nous, il est enfermé dans l'obsidienne. Mais j'ai ressenti son pouvoir, Mon Seigneur. La limite entre Umbra et Sortem se fragilise dangereusement, Le Voile s'étend de plus en plus. 

_ Il ne pourra pas sortir, tu le sais.

_ Mais si le Cl'Avis...

_ Non, il ne sait même pas ce dont il est capable. Nous resterons vigilant. De toute façon, la contrepartie du Marcheur ne va plus tarder à se mettre en marche pour le freiner, ce n'est plus qu'une question de temps.

Je pose un coude sur le bureau et y installe mon menton avec une mine songeuse.

_ Mon Seigneur, commence Ananké, êtes-vous soucieux ?

Un léger sourire s'esquisse au coin de mes lèvres.

_ Non. A vrai dire, je trouve les événements plutôt réjouissants. Je commençais à m'ennuyer. Je suis le Dieu de la Fatalité et du Chaos après tout, je comprends qu'ils veuillent se battre, sans le savoir, pour tenter d'éviter les chemins que je trace devant eux. La finalité sera la même, mais je saluerai leur parcours.

Je me relève lentement, m'approche de mon corbeau et commence à caresser ses plumes avec le dos de mon index.

_ Garde un œil sur eux. Je ne veux pas en louper une miette.

Ananké croasse.

J'agite brièvement le doigt devant lui pour lui ôter la parole et il s'envole en un instant par la fenêtre ouverte. 

Quelle heureuse surprise de voir que les pions de mon échiquier souhaitent s'en prendre à leur Roi. 

Dommage qu'ils aient oublié la règle la plus importante. 

Rien n'est plus facile à détruire qu'un pion isolé. 

Les Liens Célestes T1 (En Cours De Réécriture)Where stories live. Discover now