Surmonter la vie

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Aujourd'hui je serai père. Je le savais évidemment, je m'y préparais, mais cette réalité devenait tangible. Ma fille avait grossi dans le ventre de sa mère. Jour après jour je l'avais deviné grandir. 

Cependant tout se précipita, l'orage nous prit de court notre bonheur à venir. Les événements avaient basculé le jour de l'échographie du 3eme trimestre. La grossesse était alors assez classique mais au milieu de la consultation nous vîmes le gynécologue se crisper. Il avait vu une petite poche liquidienne dans le thorax. Il interrompit son examen et nous invita à consulter un centre antenatal à Créteil.

Nous repartions très inquiets, en larmes. C'était très difficile pour L., ma compagne, qui gardait ses distances, qui refusait d'en parler. Notre monde s'effondrait, ces mois de bonheur et d'attente, qui glissaient désormais dans l'inconnu.

Je regardais, dans un mauvais réflexe, ce qu'était une poche liquidienne thoracique chez les nourrissons et je perdais la tête, éreinté par la crainte et les pires horreurs que l'on puisse lire sur internet. 

***

Le rêve avait pourtant merveilleusement commencé. Nous étions partis voir ma tante près de Grenoble, dans cette ambiance si chaleureuse qui règne chez elle, avec le poêle qui ronfle mollement, les chiens affalés sur le sol, les chats en boule sur les fauteuils et la joie des bons repas partagés. Puis nous étions montés au chalet familial, pour le dernier week-end ensoleillé de l'année avant l'hiver. Là-bas, nous fumes rejoints par mes cousines et leurs compagnons et mon frère et sa compagne. Demain, nous ferions une randonnée en pleine nature.

L. avait été malade durant une partie du trajet, elle supportait mal l'altitude et la voiture et la route était particulièrement sinueuse. Elle découvrit cependant le chalet et les environs, très jolis et paisibles. Elle connaissait mal la province, et je me faisais une joie de la conduire dans cet endroit où chaque pierre est un souvenir pour moi, celui de mes années d'enfance passées à écumer le village, étés et hivers.

Comme nous n'avions pas les affaires adaptées, nous les Parisiens, on nous prêta gracieusement des chaussures de montagne et des pulls. L'ambiance restait chaleureuse : éclats des verres et des rires. 

Le lendemain, l'ascension prévue s'avéra difficile. Si le temps était particulièrement clément en cette fin de novembre, quelques plaques de neige à l'ombre tout au plus, le chemin emprunté, suivant une ancestrale piste de Saint Jacques de Compostelle, sur laquelle nous avons longuement disserté, s'avéra abrupte et raide, surtout pour nos jambes tout au plus rompues à la butte de Montmartre. A l'inverse mon frère et mes cousines gambadaient comme s'il s'agissait d'une simple promenade matinale.

L. souffrait un peu, ne sachant s'il faisait froid ou chaud, soufflant, me rabrouant. J'étais le responsable, je me devais d'être le guide et tout connaître. La vérité est que je n'en savais rien, et la foudre me tombait sur la tête tandis que mes jambes lourdes ne me permettaient pas d'aller plus loin. Cependant, elle fut rassérénée par la récompense qu'offrait l'ascension, un plateau forestier avec une vue exceptionnelle sur toute la vallée. Sous ce soleil timide de novembre, nous prîmes de la charcuterie et des fromages coulants que nous étalions sur des tartines, contemplant le paysage indompté.

Certains décidèrent de prolonger l'ascension, jusqu'à un calvaire, situé sur un éperon rocheux. Mon oncle le désigna du doigt, une croix qui apparaissait minuscule, plantée sur un pic. « Avec un peu de volonté, nous serons rentrés pour la nuit ! », dit-il avec détermination. Mais s'en était trop pour L. et à vrai dire pour moi-même. Aussi, nous redescendîmes avec ma tante et ma cousine, qui étaient également contentes de s'en arrêter là. Nous nous rendîmes dans la petite ville en contrebas, mais le temps changeait et il faisait de plus en plus froid. Après avoir parcouru les rares magasins ouverts, nous nous retrouvâmes à attendre dans les rues glacées, souvent désertes. Un petit goûter à base de tarte à la myrtille nous aida à tenir.

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