Prologue

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— Je ne ferai plus jamais de gosses !

Maman essuie nerveusement la goutte qui perle au bout de son nez du revers de sa main. Il fait un sacré orage, ce soir-là. De ceux qui noient l'asphalte et font déborder les ruisseaux.

Si elle avait pu, elle aurait déménagé dans les îles.

En tout cas, c'est ce qu'elle me rabâche constamment lorsque le ciel se teinte de cendre et lacère le paysage de lames ruisselantes. Elle a dû rouler un bon quart d'heure supplémentaire dans le trafic bondé et traverser les petites routes escarpées qu'elle a en horreur pour finalement regagner mon école maternelle.

Elle est si pressée - certainement pour en finir plus vite, qu'elle manque de glisser sur la dernière marche de l'escalier et siffle un juron qui ferait retourner les morts dans leur tombe.

Un râle de soulagement ou d'agacement plus tard, elle pousse enfin la grande porte et rejoint le couloir des classes.

Ce n'est pas l'école maternelle la plus proche de la maison, mais au moins, elle ne me met pas d'emblée dans une case.

Enfin, jusqu'à aujourd'hui, peut-être.

La capuche imbibée glisse de sa tête et dévoile ses épais cheveux bruns gonflés d'eau. Elle déteste ça. Sa tignasse ne tardera pas à rebiquer et dévoiler les frisottis indomptables qu'elle se donne tant de mal à lisser au fer chaque matin.

Définitivement agacée, elle ajuste son pull qui s'est débrayé alors qu'elle se frayait un passage entre les gouttes. Un rapide coup d'œil sur sa montre. 16 h 54.

— Zut, jure-t-elle entre sa mâchoire serrée.

Pressant le pas dans les couloirs peints dans des tons criards, les talonnettes de ses mocassins en cuir claquent contre le sol clair.

— Déjà convoquée après trois mois, ça promet.

Son regard plissé par la contrariété examine chaque porte à la recherche de la bonne. Son rictus échauffé creuse déjà les sillons de sa légère ride du lion.

Moyenne section B.

À peine le temps de décrypter l'inscription peinte à la main qu'elle tombe nez à nez avec ma professeure dans l'encadrement de la porte, certainement prête à la passer.

— Je suis là ! Navrée pour mon retard... Ce fichu orage.

Maman souffle péniblement et dégage à la hâte une mèche de cheveux bruns collée à sa tempe alors que l'institutrice l'invite à s'asseoir face à son bureau.

Elle prend place, un peu gênée par le couinement que fait sa semelle trempée sur le carrelage, et remarque d'emblée le petit tas de feuilles.

Le suspens prend fin ici.

— Mme Leclair...

— Carole, la coupe-t-elle gentiment.

Le ton qu'adopte la professeure n'annonce rien de bon. Qu'est-ce qui peut bien suivre un "Madame Leclair" si hésitant ? Assurément pas le sujet pour lequel ma mère espère être convoquée.

— La petite a refait une crise d'asthme ?

Elle pose la question par principe, mais comme elle s'en doute, la professeure réfute d'un hochement de tête. Ça aura au moins eu le mérite de lui faire gagner quelques secondes.

Donc, elle est bien là pour l'autre sujet. Le même que les deux autres fois.

La voix de la maîtresse est empreinte d'une certaine retenue, pourtant elle en a dit suffisamment. Maman a le don de lire entre les lignes, qu'elle le veuille ou non.

TOUT CE QUE TU N'AS PAS DITWhere stories live. Discover now