𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄

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𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄
« 𝐿𝑎 𝑑𝑒𝑟𝑛𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑚𝑜𝑟𝑡𝑒 »


[ . . . ]


𝑫𝑰𝑨𝑵𝑨 𝑺𝑬 𝑴𝑬𝑼𝑹𝑻.

Son corps est recouvert d'un linceul de sueur. Le sang qui doit être à l'intérieur d'elle nimbe les draps, ses cheveux roux et la barbe foisonnante d'Héraclès, son mari. Ce dernier, colosse de sentiment et de ferveur pour cette diablesse de femme, tente de trouver l'enfant, au fond d'elle, au fond de sa cavité qu'il a tant de fois aimé découvrir et martyriser.

Théophraste est en train de naître. En train de martyriser sa mère avec son destin et ses rêves. Il lui est d'un poids insurmontable, dévorant sa force de caractère et gommant les derniers vestiges de sa pugnacité.

Diana ne sera plus. C'est ce qui est dit, ce qui est chanté dans les grondements de l'orage qui surplombe Pella. Une vie pour un grand destin. Une vie contre la sienne et ses grands espoirs de liberté. Les Dieux n'ont jamais été justes ou bons avec les mortels, ils n'ont été que douleur et férocité, dardant de leurs propres erreurs, les corps faibles et sans armures des hommes.

Pour l'instant, Théophraste n'est qu'une idée, un éventail de possibilités, une promesse pour la Macédoine et un fléau pour Diana qui se sent à l'abandon, furieuse de n'être qu'un réceptacle sans avenir.

Diana doit mourir pour que Théophraste vive et éclaire le futur roi des barbares. C'est ce que les dieux imposent depuis la naissance d'Alexandre le Grand, cinq ans plus tôt.

Diana se taille les lèvres avec ses dents cassées par l'effort et la souffrance. Elle ne tente pas de hurler mais ses yeux sont deux braises à charge de revanche. Cette future mère est une entité humaine qui n'accepte pas les conditions de l'Olympe, elle se veut téméraire, libre et sans exigence, loin de sa condition mortelle.

Et c'est pourquoi, lorsque son souffle se défait et qu'Héraclès plonge plus en avant pour arracher l'enfant capricieux, Diana est confrontée à Éris.

Déesse de la discorde et du chaos, éprouvante et légère, séductrice et horrifiante, cette dernière se faufile dans les méandres de ce qu'il reste de Diana. Le rien de la mort prochaine est un univers sans limite et sans surface, où les mortels ne sont que des pensées et des regrets avant de rencontrer Charon, le passeur. La silhouette de ce dernier se perd dans l'immensité floue, une présence silencieuse et respectueuse, prête à caresser les âmes perdues et folles de désespoir.

Diana pourrait se ruer vers lui, lui baiser ses pieds et enlacer sa cape sombre de remords, mais sa soif de vivre l'enivre et la cloue sur place. Chaque pas la fait reculer. Chaque tentative de hurler la colle au sulfureux corps d'Éris qui referme ses bras froids et humides autour de sa taille sans poids.

Elle n'est maintenant plus qu'une entité, entre la vie et la mort, son fil d'Ariane attendant le sort des Moires et sa volonté de mourir. Mais la macédonienne est incapable de refuser l'étreinte de la déesse, prometteuse et vivifiante. Les tentacules de cheveux étranglent sa gorge encore pleine de vie : Éris connait tout d'elle, la jeune femme le sait, le sent. La parole est inutile lorsqu'une telle puissance peut vous lire sans tourner une seule page de votre livre.

Charon voudrait lui hurler de se défaire d'elle, de cette corruption immonde qui broie sa dernière volonté de mourir en donnant la vie à son enfant. Ne voit-elle pas que tout dépend de son choix ? De sa bravoure ? De sa position de mère ?

Éris dépose de doux mots au coin de l'oreille de Diana, lui donne la possibilité de vivre, de rejoindre les bras et la puissance de son mari Héraclès, de ne pas être un pantin sans histoire, d'être toujours la plus belle du royaume. Le venin s'insinue, laissant des racines qui ne pourront plus être arrachées par l'amour et le souvenir d'un fils.

« En échange de la vie, celle de ton fils. Ses rêves, ses espoirs, ses amours, ses chemins et sa gloire. Ôtons ce qui fera de lui une marionnette, donne-lui du caractère et de la force, qu'il soit aussi beau que Thanatos et plus destructeur que le Dieu Père lui-même. Que ses nuits soient son linceul et que le soleil soit son manteau. Donne-moi une partie de lui, pour que vive votre amour durant des siècles de lueur. »

Au loin, Charon pleure. Il sait la défaite de Diana. Sa barque tangue tandis qu'une vague du Styx se jette sur la mère. Elle n'a pas besoin de prier ou de supplier la déesse de la discorde, son corps tout entier rejette la Mort et le royaume d'Hadès. Et elle se noie, pour sa dernière mort.





Un garçon se tient devant elle. Beau, enfantin, les yeux d'un bleu perçant, illuminant le reste de son corps. Ce sont de véritables perles. Des yeux divins. Diana, dans le vide de la vague, qui a perdu de son vacarme, essaye de lui tenir la main, de découvrir la peau de son enfant, magnifique et heureux. Il a ce sourire, plus chaleureux que le soleil. « Maman... » Théophraste prend le visage de sa mère, en coupe, dans ses mains de porcelaine. « Regarde, Maman. Regarde ce que tu viens de perdre. »

En fumée, Théophraste disparaît, pour toujours.





Le cri de la naissance.

Diana retrouve la vie au milieu du sang et de l'odeur infecte de ses déjections. C'est pestilentiel, âcre et chaud. L'existence, se dit-elle en découvrant le colosse au-dessus d'elle. Héraclès tient dans ses bras sales et collants, un être qui geint avec insolence. Il est partagé entre amour et incompréhension, il devine une sombre histoire derrière les yeux fous de sa jeune femme. Sans le vouloir, sans le comprendre, il ressent la honte et la défaite, le jugement.

« Qu'as-tu fait ? » murmure-t-il alors que Diana tend ses mains vers l'enfant, excitée et folle de rage à la fois.

Elle rencontre alors les yeux de son fils.

Ils sont noirs.



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⏰ Last updated: Sep 02, 2023 ⏰

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𝐋𝐄 𝐃𝐈𝐕𝐀𝐍 𝐃𝐄 𝐋'𝐇𝐘𝐁𝐑𝐈𝐒Where stories live. Discover now