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~Alexis~

- On peut penser que Magritte représente la figure principale du surréalisme...
Alexis note vaguement les paroles de son professeur. Griffonner dans la marge de ses cahiers lui a toujours paru plus intéressant que les cours théoriques.
- Alexis ?
Le garçon se retourne. Derrière lui, penchée vers son banc, sa voisine bat des cils.
- Ouais ? répond-il en se reconnectant avec la réalité.
Elle passe une main derrière ses cheveux, les faisant revenir en arrière.
- J'organise une fête vendredi, tu veux venir ? minaude-t-elle.
Alexis fronce les sourcils.
- Avec qui ? s'enquiert le jeune homme.
- Oh, des amis à moi, rit-elle, alors qu'il n'y a absolument rien de drôle à ce qu'elle vient de dire.
- Euh... hésite l'étudiant.
Alexis a beau être plutôt extraverti, la perspective d'être avec des inconnus ne le met pas super à l'aise. En même temps... Une soirée, c'est vraiment le meilleur endroit pour pécho. Et il en a bien besoin.
- Viens avec un ami si tu veux, glousse de nouveau la fille.
Ah... Un ami ? Louise ? Non, puisqu'elle a dit UN ami. Mais un ami... Il ne va pas s'inviter avec Léo tout de même ? Et puis s'il veut une chance de choper...
- Euh... répète-t-il de nouveau, c'est quoi ton prénom déjà ?

Notez qu'Alexis est handicapé social : on ne demande pas le nom de quelqu'un qu'on est sensé connaître. Vraiment.

La fille ouvre la bouche comme un poisson. Ou un canard. Elle plaque une main devant ses lèvres.
- Laetitia, dit-elle sèchement.
Alexis lui sourit. Elle vire à l'écarlate. On ne peut pas en vouloir à Alex. Il suffit qu'il décoche son sourire à faire fondre et tout est oublié. Il a parfaitement conscience de ce pouvoir, et s'en sert comme bon lui semble.
- Et bah ok, finit il par décider.
Il se retourne, non sans entendre les petits cris de joie de la bande de grues derrière lui. Il ne méprise pas ces filles. Enfin... Il a beau ne pas les apprécier, on ne peut pas dire qu'il reste insensible à... Bref. Même pour les garçons intelligents, les pick-me girls ont un côté très réjouissant.
- Bien joué mec, lui chuchote Thomas son voisin, t'as tapé dans l'œil de la meuf la plus bonne de la classe.
Alexis tique. Il n'aime vraiment pas qu'on parle des filles comme si c'était juste des objets, à chaque fois, il imagine Louise à la place et ça le fait frémir de dégoût. Les bruits de cahiers qui se ferment et de fermeture éclair résonnent dans l'amphi, répondant aux bavardages de fin de cours. Alexis range ses affaires sans se presser, et jette un coup d'œil à son téléphone. 18h32. Il a le temps de préparer à manger. Il attrape son casque et le plaque sur ses oreilles, avant de lancer sa playlist. Le casque du jeune homme est une véritable œuvre d'art. Offert par ses parents à ses 12 ans, il a été rafistolé avec du scotch, tagué par Louise et par lui-même des milliers de fois, démonté deux ou trois fois par Léo... C'est un fouillis de sparadrap et Posca qu'il pose sur son crâne chaque fois qu'il veut s'isoler. Il sort du bâtiment avant de marcher jusqu'à la station de métro la plus proche, son sac à dos sur les épaules. Saisissant son Pass Navigo, il passe le portillon en métal et descend sur le quai. Un SDF joue de la guitare. Oh non. Le cœur battant, Alexis sent sa respiration se couper. Les genoux tremblants, il a à peine le temps de s'asseoir sur un des sièges en plastique que ses jambes se dérobent sous lui. Il voit son champ de vision se troubler. Les yeux remplis de larmes, la respiration haletante, il vomit sous le regard des passants passifs et dégoûtés. Il pleure, ses pensées se télescopant dans sa tête. Il pleure, les dents serrées. Il pleure, le souffle court.
- Vous allez bien jeune homme ?
Alexis sent une main frêle se poser sur son épaule. Il prend une longue goulée d'air salvatrice avant de se tourner. Un petite vieille lui tend un Kleenex, le visage attentif. Le garçon saisit le mouchoir et s'essuie la bouche avant de sécher ses larmes d'un revers de manche.
- Merci madame, dit-il d'une voix rauque, excusez-moi de vous avoir infligé ça.
- Vous êtes malade mon garçon ? demande-t-elle.
Alexis hésite à répondre.
- Oui, finit il par mentir, mais je me soigne ne vous inquiétez pas.
C'est une semi-vérité. Il est effectivement malade. Pas dans le sens où la dame l'entend sûrement, mais il l'est.
- Si c'est pas dommage, à votre âge, d'être mal comme ça ! dit elle d'une voix pétillante. Elle lui tend le bras afin de l'aider à se lever, mais il décline l'offre d'un geste de la main. Le métro arrive, déversant un flot de voyageurs. Alexis accompagne la grand-mère, qui lui pose quelques questions avant de descendre deux arrêts plus loin. La tête appuyée contre la vitre, il voit son reflet blafard lui lancer un regard triste. Il ne devrait pas vomir sur un quai de métro normalement. Mais Alexis est faible. S'il fait des crises d'angoisse depuis ses 14 ans, aux yeux de tous, ça a cessé à la fin de la 3eme, et il n'a plus besoin d'antidépresseurs. Pour rien au monde il n'avouerait, même à Louise, que parfois, ses vieux démons lui rendent une petite visite, en profitant pour le faire quasiment s'évanouir sur un trottoir ou vomir sur un quai de métro. Alexis n'est plus dépressif. Enfin, à vrai dire, il est d'une nature dépressive, mais il reste joyeux. Alexis représente le parfait cliché du clown malheureux. Même quand il était au plus bas, il tentait encore de plaisanter. Même sur la honte de sa vie, il avait terminé par une vanne. Ne pas y penser... Si maintenant. Rrrah. Il frappe son crâne contre le plexiglas. Cette lettre... Il pourrait la réciter de tête. Louise aussi. Et sûrement Léo, même si il ne l'avoueras jamais. Il avait été si proche... Si proche de le faire... Et voilà que dans sa tête embrumée, les voix se superposent : la sienne, celle d'avant qu'il mue, celle de Louise, de Léo, la petite voix zozotante de Joseph, celle de Garance... Elles parlent ensemble...

***
Chers tous.
Je ne sais pas qui lira cette lettre. Peut être Louise. Peut être Léonard. Peut être toi maman. Peut être Clo, si tu te décides à affronter ma chambre. Je sais que vous m'aimez, sauf toi, Léo, parce que t'es un enfoiré. J'espère que vous savez que je vous aime aussi. Que rien de tout cela n'est votre faute. Si la faute est à quelqu'un, elle est à moi : je vous autorise à cracher sur mon corps, du moins si Louise y arrive, même avec ses bagues. Vous avez tous essayé de m'aider. Vous y avez sûrement mis du votre, mais comme le fait de faire ranger sa chambre à Clotilde, me soigner est une cause perdue. Vous pensez que je vais bien. Sauf peut être Louise. Il n'y a qu'elle qui ai su me percer à jour. C'est dommage, mais le masque du gamin fin et drôle est devenu trop lourd à porter. C'est l'image que je veux que vous gardiez de moi. J'ai laissé 7 lettres : 1 pour Louise, pour Léo, pour maman, pour papa, pour Clotilde, pour Joseph quand il sera plus grand, mais aussi une pour Mr. Banette.
Je vous aime.
Alexis

Je t'aime beaucoup Where stories live. Discover now