Chapitre 4

8 0 0
                                    

****

Pierre-Yves s'excuse et répond à son appel. Il se lève de sa chaise pour se dégourdir les jambes. Sa silhouette s'enfonce dans un coin du sous-sol.

Au même moment, ma bougie a des pertes noires. Nous nous regardons tous béat. La beauté de son costard réapparait dans l'ombre. Pierre-Yves se rassoie et nous informe :

- Je suis dans l'obligation de partir, nous annonce-t-il. Malgré cela, je reste cordial envers mes confrères. Tu peux reprendre la parole, Isaac.

- Je te promets de faire court dans ce cas, lui répondé-je.

Les minutes ont repris de leurs importances. Mon temps de parole est écourté. Je poserais un marque-page sur cette feuille de ma jeunesse. Je me frotte l'avant-bras, les cuisses, et continu de me dévoiler :

- Par la suite, j'ai découvert la pornographie. Mon premier film était lors d'un samedi après-midi avec des camarades de classe. Nous jouions aux jeux vidéo dans la chambre de notre pote. Les graphismes étaient encore pixélisés à l'époque. L'un d'entre nous déballa une clé USB. Il l'avait volé à son papa. Ce morveux nous vendait le contenu de celle-ci. Branché sur la télévision, cette clé nous ouvrait la porte à une ribambelle de vidéos amateur. Toutes plus rébarbative que les autres. Ces images n'ont pas proscrit une érection involontaire de se déclencher. Et ce, malgré la basse qualité des enregistrements. Nous nous sommes mis en arc de cercle, devant l'écran du téléviseur. Nous avions engagé un esclandre de masturbation collective.

Je remarque les pieds de Pierre-Yves frapper contre le sol. Je reprends une dernière inspiration et tente de finir d'une traite :

- Sur ce fait, nous en avions profité pour se comparer la circonférence de nos sexes. Nous mesurions nos attributs génitaux avec la même règle d'école. C'était l'élection de la plus grosse. Un concours où je n'avais pas fini dernier, ricané-je dévorant Lina des yeux. Très peu de scènes après, nous avions tous postillonnés sur le drap housse de notre camarade. Depuis, les années ont passées. Des lèvres adolescentes ont été embrassées. Des jeunes femmes ont défilé dans mon écrin. Les vidéos visionnées se sont multipliées. Et le plus signifiant : la connaissance de mon corps s'est quelque peu affirmée.

Mon souffle rend dépourvue la mèche de sa propriété. Finalement, cela tombe à pic. Je ne me sentais pas apte à aller plus loin. Je préfère rester en surface pour l'instant. Je ne suis pas encore prêt à tout leur raconter. Les moindres détails ne concernent que moi.

Pierre-Yves regroupe ses affaires et se lève :

- Je dois vous laisser d'urgence, conclu-t-il.

- Nous avons mordu sur le temps que je m'étais fixé, réalise Julie. Il fallait prendre ce temps pour mieux nous connaitre. Je vous laisse reprendre vos occupations. Nous nous disons à Samedi prochain.

- J'aimerais savoir, se questionne Jérôme. Les séances auront toutes lieux ici ?

- Même lieu !  Même ambiance ! glorifie-t-elle.

- Si je peux me le permettre, rajoute Myriam, ça fait un peu tard.

- Je pensais avancer la séance à quatorze heures pour la même raison. Est-ce que cela vous convient ?

Tous les membres donnent leur accord pour changer le créneau horaire. Pierre-Yves ne perd pas plus de temps et gravis les marches par deux. Julie quitte son assise. Elle saisit le chandelier à la main et nous avertis :

- Ah, j'oubliais ! Nous nous donnerons des objectifs à partir de la semaine prochaine. Nous irons petit à petit, sans submerger ce premier contact.

- Combien te doit-on ? s'adresse Lina les doigts sur le cuir de son sac.

- Je n'accepte aucune rémunération. Je prends de mon temps libre pour apporter mon aide.

- A la semaine prochaine alors ! nous abandonne Jérôme et son sourire courtois.

- Je suis satisfaite du travail que l'on a produit ensemble cet après-midi, s'acclame-t-elle avec engouement.

Là-dessus, se termine ma première séance de thérapie de groupe.

Je n'ai plus d'aprioris. Ces prémices me donnent la curiosité de découvrir la suite. J'ai eu la facilité de ne connaitre personne lors de nos confidences. Peut-être que nous nous sommes déjà croisés dans la foule, en heure de pointe, sans n'avoir porté d'intérêt à nos existences. Niant l'expression sur nos visages. Rien qu'au fait d'ignorer vivre sur la même planète. Je n'ai pas pu aller plus loin dans mes explications. J'espère, un jour, pouvoir m'exprimer sans crainte des contrecoups. Pouvoir me montrer tel que je suis. Ainsi faire face à une créature qui me rend toute chose.

Ma priorité actuelle est Lina. Elle, cette princesse de la mythologie Égyptienne. Cette loi qui m'a été interdite pendant toutes ces années. Je change de casquette. Du jeune garçon en émerge un homme. Je vais lui dérober ses biens comme un ravisseur. Elle a usurpé mon identité sans que je ne puisse me défendre. Ma ténacité sera sa sentence.

Nous sortons tous de la maison. Nous nous saluons. Nous nous souhaitons une bonne fin de week-end. La rue est déserte. Le crépuscule est en train de naitre. Certains volets électriques se baissent. Chaque voiture retrouve son propriétaire. Il est enfin temps d'accoster Lina. Il me faut faire le premier pas. L'ivresse m'apporte l'expérience de la drague. J'espère faire bonne figure sans.

D'un pas déterminé, j'avance vers elle. Je racle ma voix à plusieurs reprises avant de lui revendiquer :

- Accepterais-tu de m'accompagner prendre un verre au bistrot du coin ?

Lina pianote sur son téléphone portable. Elle ne fait guère attention à ma proposition. Sous l'opacité de mes mots, je reformule ma doléance :

- Excepté cette foutu addiction, je suis persuadé que nous avons plein de choses en commun. J'aimerais que nous fassions connaissance. Qu'en dis-tu ?

- Je t'arrête toute suite, clos-t-elle d'un ton ferme. Je suis loin d'être une fille comme tu le penses. Avec les hommes, c'est moi qui prends les devants. Si je veux faire le premier pas, je le fais. L'histoire est réglée. A samedi prochain.

Mademoiselle feinte. Elle se retourne et ajuste ses oreillettes à ses pavillons.

Je suis l'assesseur de sa fuite. Ses courbes flanchent. Son ombre s'estompe. Je l'observe jusqu'au dernier élément de sa personne. Il est trop tard. Elle est partie. Je sens alors une émotion que je n'avais jamais vécue auparavant. Serait-ce du regret ? Non !

Alors je cours. Je prends de la vitesse. J'y mets toute ma force. Je repousse les limites de mon endurance. Je cavale en pensant à ses pupilles claires. Je fonce pour revoir le schéma de ses lèvres. Même le plus déchirant des points de côté ne m'arrêterait pas. Elle fait battre mon cœur de façon anormale. Son absence rend mes questions sans réponses. Mon souffle se coupe. Il redémarre. C'est alors que je trébuche sur une surélévation du trottoir. Je tombe sur le goudron. Je me relève aussitôt. Je me précipite. Les paumes encore tâchées d'asphalte. Je la pourchasse.

Ça y est ! Enfin, Je revois ses courbes nettement. Enfin, son ombre est à ma portée. Je vois un premier, un deuxième, un troisième élément de son être. Tout compte fait, il était encore temps.
Lina est seule sur le quai de la gare. Un train vient d'être annoncé sur la ligne où elle se trouve. Il ne me reste plus beaucoup de secondes. Je dois la convaincre.

J'arrête ma course. Elle me remarque. Je fais le reste en marchant. Elle me sent m'approcher. J'avance d'un pas plus certain. Elle recule d'une manière incertaine. Je suis à son niveau. Elle reste immobile. Je baisse la tête pour me plonger en elle. Elle enlève ses oreillettes.

- Bon, il est loin ce bar ? m'adjure-t-elle déconfite.

Nos noms après la virguleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant