Chapitre 11 - Piègealoux

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Les fils de soie de la femme-araignée avaient gravé de profondes entailles carminées en travers des poignets de Sitael – stigmates d'une rencontre douce-amère – et le feu du tatouage sur sa poitrine ne s'était pas encore éteint lui non plus. Ces perceptions multiples de douleurs entremêlées masquaient de manière bien opportune l'irritation croissante qui bouillait dans les entrailles du mercenaire. Il n'appréciait pas du tout l'intervention de ce Ouicheur arrogant qui se comportait avec Sam'tah comme si c'était lui, son prisonnier, alors que la place était déjà occupée.

Heureusement, la prêtresse s'était vite détournée de l'envahissant rustre pour libérer enfin celui qu'elle avait le devoir de protéger. Trop résistants, les fils de soie n'avaient pas cédé à la lame affûtée d'un premier poignard, ni aux dents d'un couteau de cuisine cranté que Gérard transportait toujours dans son sac à dos. La solution évidente avait alors sauté aux yeux de Sam'tah : il suffisait de dénouer les fils comme s'il s'agissait de banals lacets – mais des double-nœuds, tout de même.

Maintenant libre, Sitael frotta ses poignets endoloris tout en adressant un regard froncé à Gérard.

— Bon ben, merci pas merci, mec. On a une mission à accomplir et on n'a plus besoin de toi, tu peux partir à la chasse aux casu martzu pleins d'asticots, on te retient pas.

— Ah bon, on a une mission à accomplir maintenant ? s'étonna Sam'tah, poings sur les hanches. Je croyais que tu voulais rien avoir à faire avec ces histoires de déesse vengeresse, ni avec moi ?

L'embarras se peignit sur les traits du mercenaire, comme un petit garçon pris en flagrant délit de mensonge.

— Ben c'est-à-dire que... Oui, ça me plaisait pas trop au début, cette affaire. Mais au bout d'un moment il faut se rendre à l'évidence : la déesse Ellzace va pas me lâcher comme ça, et tu es la seule personne à pouvoir m'aider à comprendre ce qu'elle attend de moi.

— Ah, enfin un peu de bon sens !

— Et puis je voudrais pas te causer des ennuis avec tes supérieurs au temple. Je suis ton prisonnier, après tout, et ça ferait mauvais genre si je m'échappais...

— Puisque tu as l'air d'être revenu à la raison, je vais passer l'éponge sur le fait que tu viens de me tutoyer. A propos d'éponge, tu es encore recouvert d'une matière visqueuse, ça devient une habitude chez toi.

L'ectoplasme du cétacé gigantal d'outre-tombe imbibait encore le peignoir rose floqué aux initiales de la chambre d'hôte de Jean-Marc. Sitael faisait pâle figure.

— C'est qu'une émanation immatérielle du monde des esprits, intervint Gérard qui commençait à se demander pourquoi on l'avait fait participer à cette scène – il avait l'habitude de tenir le premier rôle, pas de faire office de figurant de second plan.

— Tu veux dire qu'il n'est pas réellement recouvert de protoplasme cellulaire ? décrypta Sam'tah.

— Oh si, mais il n'y a pas d'échange matériel entre notre monde et celui des esprits. En clair, s'il arrête de penser qu'il est ruisselant de gelée, il arrêtera de la voir, et nous aussi.

Sitael peinait à croire ces explications. C'était sûrement une blague de mauvais goût de la part de ce Ouicheur qui cherchait à le ridiculiser encore davantage. Mais à défaut de meilleure solution, ça ne coûtait rien d'essayer.

Le mercenaire luisant ferma les yeux si fort qu'une multitude de petites rides zébrèrent sa peau. Il ne vit d'abord que du noir, puis des lueurs colorées se mirent à tourbillonner sous ses paupières crispées.

SitaelWhere stories live. Discover now