Prologue

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On rentrait de la communion d'un cousin à Briquemesnil.
C'est pas loin de chez nous, Briquemesnil. Mon père connaissait chaque méandre de la route sur le bout de ses ongles ronges. Le problème, c'est que quand on connaît le chemin par cœur, on finit souvent par s'imaginer qu'on pourrait le faire les yeux fermés.
Et la plupart du temps, on a tort.

Surtout après une ripaille où personne n'a lésiné sur la bière, puis le vin, puis le pousse-café.
Ma mère, qui ne boit presque pas, avait pourtant proposé de conduire. Mais quand il était saoul, mon père, il se prenait pour un génie personnifié, valait mieux pas le contredire.
J'en ai profité pour lui réclamer la place qu'il me refusait toujours quand il était à jeun, celle du mort. Ma mère a protesté, en vain.

- Pour une fois, lui a rétorqué mon père tout plein de bons sentiments éthyliques. Il est grand maintenant, hein mon Josh ?

-Il a neuf ans et demi.

-Bah oui, c'est un homme maintenant. Pas vrai mon grand ?

-Ouais, chuis un homme !

Ma mère n'était pas de taille à lutter avec son alcoolé. mie. Elle était debout depuis l'aube, il était très tard, elle était épuisée, elle a lâché l'affaire. Je crois qu'elle n'a pas encore fini de le regretter.
En plus, ça n'avait rien de très rigolo d'être devant.

La nuit on ne voit pas grand-chose et j'étais si fatigué de m'être amusé toute la journée que je me suis endormi au bout de cinq minutes. Le temps que les foutus arbres commencent à surgir là où mon père les attendait pas. Il y en a un qui s'est carrément jeté dans le pare-brise et la voiture a fait un tonneau.
Ma mère, qui était à l'arrière avec mon petit frère, s'est cramponnée au siège bébé pour le protéger. Ils sont les seuls à s'en être bien tirés.

Mon père n'a pas survécu à ses blessures, il a fallu abattre l'arbre, et j'ai regretté de pas être mort aussi quand le chirurgien a dit qu'il allait falloir me couper les jambes au-dessous du genou, que c'était pas de chance vraiment les deux d'un coup c'est rare, il a dit.

Je sais qu'il y a des enfants qui jouent sous les bombes en Syrie et ailleurs, d'autres qui meurent de faim, et d'autres encore qui se noient dans la Méditerranée, et que J'aurais donc dû m'estimer heureux.
Mais doit pas y avoir beaucoup de gosses de neuf ans qui s'estiment heureux quand on leur annonce un truc pareil.

Ma mère, elle, ne pensait qu'à se réjouir parce que j'étais vivant.
Elle a même eu l'air si soulagée quand on lui a dit que j'allais devenir les quatre cinquièmes de moi-même, au lieu d'être mort comme elle l'avait d'abord redouté, que j'ai essayé d'avoir l'air content.
Les parents se rendent pas toujours compte du mal qu'on se donne pour leur faire plaisir.

Je vous garantis que j'en ai bavé à l'hôpital. Et après, chez nous aussi.
À me bagarrer avec les médocs, avec l'infirmière qui venait refaire mes pansements tous les jours, avec ma mère qui buggait chaque fois qu'elle voyait mes coutures et semblait redécouvrir qu'il me manquait quelque chose, avec mes rendez-vous de prothèses.
Elles me faisaient mal au début, mais c'était ça ou le fauteuil roulant. J'ai dû réapprendre à marcher pendant que mes potes s'éclataient au football sur le terrain vague, ça m'épuisait.

Je me suis mis à détester le football, détester le terrain vague, détester mes potes. Pas un ne l'est resté d'ailleurs, de près ou de loin. On n'a plus fait qu'échanger une ou deux phrases gênées de-ci de-là.

Je les trouvais immatures, pathétiques presque, même les plus vieux, on n'avait plus rien en commun.
J'avais le moral tellement démoli qu'il m'est arrivé de ruminer qu'avec la pente abrupte qui mène au canal, je pourrais me casser la figure sans le faire exprès, la nuit de préférence. Il suffisait que je prenne un peu d'élan et hop !

Mais si je faisais un truc pareil, qui prendrait soin de ma mère et de Juju ? J'étais le seul homme de la maison maintenant, mon devoir était de les protéger.
Et si je n'avais pas le début d'une idée sur comment m'y prendre, je ne doutais pas que c'était mon devoir.

Au fil de l'aiguille, la vie s'est mise à me raconter des histoires comme quoi il restait des tas de choses intéressantes à faire que je n'avais pas encore faites et je me suis laissé tenter.
Je ne pensais pas encore aux filles, je n'imaginais pas à quel point ce serait compliqué, vu qu'avec un corps normal, déjà...

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Aucune idée de si j'aurais la foi et le courage de finir une histoire jusqu'au bout. On verra !

Accident d'amour (Joshua Kimmich x Mesut Özil)Where stories live. Discover now