Prologue

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Jordan

Chicago, Illinois.

12 juillet 2023

Même si New-York est ma maison, Chicago reste ma ville de cœur. Je sais qu'un jour je reviendrai vivre ici mais ce sera seulement quand je serais prête. Ces dernières années n'ont pas enlevé le sentiment d'amertume installé dans un coin de ma tête dès que je pose les pieds dans cette ville.

Il s'est passé trop de choses ici.

La mort de mon père n'en reste pas moins le plus douloureux.

Alors pour l'heure, je ne reviens ici que quelques fois par an, pour rendre visite à ma grand-mère - la mère de ce dernier. Gloria Harris est l'une des femmes les plus fortes que je connaisse, même si j'ai compris en grandissant que la mort de son fils l'avait affecté bien plus qu'elle ne me l'a montré quand j'étais petite.

Et la serrer dans mes bras comme j'ai pu le faire ces derniers jours n'a pas la même saveur que de lui parler au téléphone lorsque je suis à New-York. À vrai dire, elle est la seule personne qui me fait revenir ici.

Je suis alors le chemin tracé par le GPS qui me mène jusqu'à son appartement qui se trouve dans un de ces quartiers assez mal fréquentés de Chicago. Je n'ai pas été la seule à lui proposer de déménager, mais cette dernière a affirmé que c'était là où elle avait vécu toute sa vie et là où elle mourrait. C'est l'appartement où son fils et son mari ont vécu.

L'une des dernières choses qu'il lui reste d'eux.

Alors nous avons arrêté d'insister puisqu'après tout, ça me permet de revenir là où mon père a vécu, même si je sais qu'à chaque instant dans ces rues je peux me retrouver comme lui, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Les probabilités sont certes faibles, mais existantes. C'est tombé sur lui, pourquoi pas sur moi ?

Je ne traîne donc pas et avance d'un pas rapide en reconnaissant désormais le chemin. Il n'est pas encore 18 heures mais avec l'orage annoncé, il fait déjà bien sombre. Le temps n'est pas au beau fixe malgré cette journée d'été. La pluie commence même à tomber.

Soudain, lorsque je vais pour traverser la route sur le passage piéton, un type en face de moi ne remarque pas la moto qui fonce sur lui.

- ATTENTION ! m'exclamé-je trop tard.

La collision me fait reculer mécaniquement.

La moto vacille sur quelques mètres, manquant de faire tomber son conducteur mais ce dernier se stabilise avant de prendre la fuite sans un regard en arrière.

Connard.

Sans attendre, je m'élance vers l'homme qui a été projeté au sol. Il peine à se remettre debout lorsque j'arrive devant lui.

- Monsieur, vous allez bien ? demandé-je tandis que je m'accroupis face à lui.

Je pose une main sur son épaule mais tandis que ses yeux bruns s'ouvrent sur moi, je me fige. La panique me gagne instantanément lorsque je reconnais son visage.

Je le reconnaitrais entre mille.

Putain.

Je tente de me concentrer et calmer les battements de mon coeur, car je dois passer pour une folle à le fixer et le tenir de la sorte.

- Vous allez bien ? me forcé-je à demander de nouveau, alors que ma voix trahit mon anxiété.

- Je... ça va...

Sa voix craque lorsqu'il murmure ces quelques mots le forçant à se racler la gorge. Il tente par la suite de poser sa main au sol pour essayer de se mettre debout, mais je le retiens par réflexe.

- C'est pas prudent de vous lever, lui dis-je. Je vais appeler le 911. 

- Laissez, ça va aller. 

- Vous êtes sûr ? Vous pouvez vous lever ?

Ses yeux me sondent et je vois l'instant où il me reconnaît. Ses paupières s'ouvrent et se referment plusieurs fois tandis que je sens ma poitrine se resserrer. Prenant conscience que ma main est toujours posée sur son épaule, je la retire brutalement comme si son contact m'avait brûlé.

- Jordan ?

Non. Non. Non.

Je ne réponds rien mais mon cœur est désormais lancé au galop.

Nos regards se cherchent et se découvrent une nouvelle fois.

C'était probable. Plus que probable. Je connaissais la durée de sa condamnation puisque j'avais suivi le procès quasiment aux premières loges.

Presque cinq ans se sont écoulés, mais c'est comme si c'était hier. J'ai eu le temps de me préparer à son retour, mais je n'ai jamais imaginé le recroiser. Que ce soit aujourd'hui ou dans des années.

Dans l'univers des probabilités nous étions environ sur une chance sur un million.

- Salut Kayton, réponds-je malgré tout.

Ses yeux m'analysent et me passent au crible fin. Évidemment qu'il ne sait rien de ce que j'ai fait. Mais moi ? Est-ce que je peux le regarder dans les yeux ? Est-ce que je peux moi-même me regarder dans un miroir depuis tout ce temps ?

Non.

Bien sûr que non. J'ai trop honte. Trop honte de ce que j'ai fait.

- Vous allez bien, Monsieur ? entends-je une voix demander à côté de nous. J'ai vu que vous vous étiez cogné la tête.

Une dame nous sourit, mais son visage paraît inquiet.

- Vous voulez que j'appelle le 911 ?

Kayton secoue négativement la tête tandis qu'un Klaxon nous fait prendre conscience que nous sommes en train de générer un attroupement de voitures. Il semble le réaliser également car il tente de se lever malgré des mouvements un peu maladroits. Vu la violence de la chute, ça ne m'étonne pas qu'il soit sonné.

Une fois debout, la femme et moi l'accompagnons sur le trottoir, mais j'évite désormais tout contact.

- Je suis infirmière mon garçon, je vais quand même vérifier que tu vas bien d'accord ?

Kayton lui sourit, de sa politesse bien caractéristique et acquiesce tandis que j'y vois là une porte sortie. Je sens bien que mes jambes veulent céder sous mon poids si je ne m'enfuis pas rapidement.

- Je vais... bégayé-je, je dois y aller.

Le visage de Kayton vire à la surprise, alors que je recule peu à peu. Je finis par faire volte-face et m'éloigne sans un regard en arrière.

- Jordan ?

Sa voix me fait l'effet d'un électrochoc me faisant marcher de plus en plus vite. Je l'entends m'appeler une nouvelle fois mais ne parviens pas à trouver le courage de me retourner.

Parce qu'il est allé en prison par ma faute.

Et ça, je ne me le suis jamais pardonné.

Les Frères Satori - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant