L'avenir dans les cartes

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Lorsque Séléné quitta le dortoir des empathes, elle se rendit dans ses propres appartements. Elle partageait une chambre avec ses deux sœurs, Artémis et Hécate. Les murs étaient couverts de boiseries, les lits à baldaquin étaient couverts de tentures sombres. Des tapis recouvraient le parquet de bois, il y avait des plantes au sol et suspendues au plafond. Il y avait beaucoup de bougies un peu partout et aucune lumière vive n'était allumée. Ça sentait l'encens et une douce mélodie flottait dans l'air.

- Mes sœurs.

- Séléné, répondirent-elles en cœur.

- Comment s'est passé l'intégration ? demanda Artémis, la plus jeune.

- Bien, répondit-elle en s'approchant de sa commode. Plutôt bien.

- Des difficultés ? demanda Hécate qui tirait les cartes.

- Je n'appellerais pas ça des difficultés. Qu'as-tu vu dans les cartes ?

- Dans les cartes, dans ma tasse et dans les nuages, que quelque chose de grand nous attend.

- C'est la jeune Viktoria, n'est-ce pas ? demanda Artémis. Elle est spéciale.

- Définis « spéciale », s'il te plait, demanda Séléné.

Artémis s'assit sur l'accoudoir du fauteuil dans lequel était assise sa grande sœur, elle jeta un œil sur ses cartes et elle déclara :

- Elle vibre d'une étrange manière. Entre peur, colère et désespoir. Mais je sens qu'elle peut développer beaucoup de capacités.

- Elle a un énorme potentiel, confirma Hécate. Mais je la sens renfermée et peureuse. Je ne sais pas ce que ça va donner. Nous avons déjà d'autres empathes mais elle est différente.

- Je ne crois pas qu'elle soit si renfermée, temporisa Séléné. Elle a seulement peur de ce qu'elle ressent. Elle ne sait pas se contrôler ni se protéger.

Elles se regardèrent et déclarèrent d'une même voix :

- Elle me fait penser au Corbeau.

Les Trois Sœurs se sourirent.

- Au moins, nous sommes sur la même longueur d'onde, déclara Séléné. Puis-je jeter un œil à tes cartes, ma sœur ?

- Je t'en prie.

Séléné s'appuya contre le dossier du fauteuil et elle fronça les sourcils.

- Pourquoi ça me dit quelque chose.

- Prends mon carnet de notes dans ma commode, s'il te plait, Mis.

Artémis se leva et elle rapporta un carnet relié de cuir. Elle l'ouvrit au hasard et regarda le nom qui figurait en haut de la page : Jeanne – le Corbeau. Juste en dessous, une date et le temps qu'il faisait ce jour-là. On pouvait ensuite lire le premier tirage de tarot qui avait été fait pour la doyenne.

- Les deux tirages sont quasiment identiques ! s'écria Artémis.

- A l'exception de la carte qui la représente, précisa Hécate. Pour le Corbeau, j'avais tiré l'Hermite. Pour Viktoria, j'ai tiré l'Etoile.

- Ce qui change tout, réfléchit Séléné. Si elles ont sensiblement le même parcours, elles ne sont absolument pas la même personne. Et même si tu as tiré deux fois l'As de Deniers pour éclairer leur futur, on ne peut pas être certaines qu'elles suivront le même chemin.

- En effet.

Elles contemplèrent les cartes encore quelques minutes et Séléné se pencha sur le paquet de cartes.

- Coupe aux trois quarts, s'il te plait.

Hécate s'exécuta. Chaque sœur avait son propre jeu de tarot et elles se refusaient à toucher le jeu de l'autre pour ne pas le polluer avec des ondes étrangères.

- Coupe encore en deux, au milieu. Maintenant, troisième carte. Celle-là, retourne-la.

- Qu'est-ce que tu as senti ? demanda Artémis.

- J'ai passé un peu de temps près d'elle aujourd'hui. Je ne sais pas. Cette carte ?

- La Folle, déclara Hécate.

- Regardez la, murmura Séléné en parlant de la jeune femme dessinée sur la carte. Elle est jeune, elle est pieds nus dans la forêt, il y a des animaux autour d'elle qui ne la craignent pas. Mais elle marche vers une falaise en regardant le ciel, elle ne voit pas le danger, elle ne voit pas qu'elle va tomber.

- Soit elle est imprudente et peu lui importe, réfléchit Artémis.

- Soit elle ne sait pas contrôler ses dons et elle réclame notre aide, termina Hécate.

- C'est ton jeu, se dégagea Séléné. A toi d'interpréter.

Hécate ne rangea pas ses cartes, elle les laissa sur son bureau pour y revenir après le diner. Les Trois Sœurs revêtirent des capes plus chaudes, l'automne rendant l'atmosphère humide. Elles se rendirent dans le bâtiment qui servait de salle à manger. Artémis entra en cuisine pour voir si les professeurs qui avaient cuisiné seules ce soir-là n'avaient besoin de rien. Habituellement, les élèves les aidaient à préparer les repas mais c'était le jour de l'intégration et il fallait que les anciennes soient là pour rassurer les nouvelles.

Depuis la salle à manger, Hécate rappela sa cadette à l'ordre.

- Artémis, cesses de manger dans les plats.

Dans la cuisine, les professeurs éclatèrent de rire et l'intéressée fit la moue.

- Le jour où je serais aussi vieille qu'elle, maugréa-t-elle, je verrais aussi à travers les murs.

- Je ne vois pas à travers les murs, petite sœur mais à travers tes yeux. Et je ne suis pas sourde parce que je ne suis pas si vieille.

Un nouvel éclat de rire retentit alors que les premières étudiantes entraient dans la salle. Elles s'installèrent chacune à une table, dortoir par dortoir. Dans les jours à venir, elles seraient amenées à se regrouper par classes mais les nouvelles venues étaient encore trop intimidées et les camarades qu'elles connaissaient le mieux pour l'instant étaient celles qui partageaient leur chambre. Les professeurs en apportant les plats à tables s'installèrent avec les élèves.

Les Trois Sœurs partageaient la même table installée sur une estrade face à l'assemblée. Lorsque tout le monde fut installé, Hécate se leva :

- Bienvenue au diner d'Intégration, mesdemoiselles. Je suis si contente de voir de nouveaux visages à nos tables ce soir. Avant de commencer le repas, j'aimerai que nous prenions quelques secondes pour remercier toutes ensemble l'Univers.

D'une seule et même voix, professeures et étudiantes récitèrent alors :

- Nous remercions le ciel d'avoir fait tomber la pluie pour faire pousser les légumes que nous mangeons. Nous remercions la terre d'avoir nourri les animaux qui nous ont donné leur viande. Nous remercions la lune et les étoiles de nous avoir réunies autour de ces tables.

Ils'en suivit un léger brouhaha joyeux mais intimidé pendant tout le repasvégétarien. Une fois les tables débarrassées, les Ainées conduisirent leursCadettes à dans une autre chaumière : celle avec la cheminée, lesfauteuils et les coussins. Certaines d'entre elles se rendirent dans lesdortoirs pour chercher des plaids et des coussins supplémentaires. Elless'installèrent ensuite comme à leur habitude : les unes couchées sur lesjambes des autres.


Une histoire de la Sorcellerie : Entre traditions et modernitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant