S'en apercevoir

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Le délicat fumet du pain d'épice tout frais lui chatouillait les narines. Ellein s'arrêta devant l'échoppe du marché de Noël. Elle y acheta une grosse tranche de son dessert préféré et un thé à la menthe traditionnel marocain quelques mètres plus loin. Elle continua à se balader sur la place agitée de monde. L'endroit était parsemé de petits sapin que chaque citoyen pouvait décorer si iels le voulait. On avait aussi orné les bâtiments publiques de jolies guirlandes lumineuses.

La jeune femme pénétra dans le centre-ville historique où se trouvait son appartement. Elle longea la principale rue commerciale de sa petite ville tout en s'abreuvant de sa boisson mentholée. Marchant d'un pas tranquille, elle posait son regard un peu partout autour d'elle. Un peu distraite, elle se fit bousculée par un adolescent pressé. Son thé se renversa sur son manteau neuf et elle jura. Ellein s'accroupit pour récupérer sa serviette qu'elle avait lâché. Et c'est là qu'elle le vit.

Mais qu'elle le vit vraiment.

C'était un homme. Un homme d'une trentaine d'années. La barbe assez longues, les cheveux bruns parsemés de gris. un petit gobelet de carton élimé était posé devant lui. Et malgré qu'il n'y ait pas la pancarte "J'AI FAIM" posée devant lui, elle savait qui était il. Un SDF.

La première chose qui la frappa, c'était le fait qu'elle le voyait réellement pour la première fois. Elle passait tous les jours dans cette rue, devant cette banque pour aller à son travail. Et jamais elle 'avait simplement pris le temps de le regarder. Elle ne lui avait jamais dit bonjour. juste bonjour. 

Cela la pétrifia. La culpabilité lui tordit le ventre.

Ensuite, une seconde pensée lui traversa l'esprit : Lui donnait-elle quelque chose ? Ou pas ? Et là, une véritable bataille avec elle-même débuta.

Oui. 

Oui mais... n'était-ce pas égoïste en soi ? Ne faisait-elle pas ça pour soulager sa conscience ? Et puis, qu'allait-ce vraiment changer à la situation de cet homme ? Était-ce suffisant ? Alors, il faudrait qu'elle arrive à l'aider totalement. Trouver une association, un logement, un travail...

Mais à partir de cet instant, n'en faisait-elle pas trop ? Elle ne pouvait sauver le monde entier ! Mais là, elle se cherchait des excuses, non ? C'était Noël après tout, il fallait être généreux.

Oui. Bon. Certes. Mais était-ce son problème ? Après tout, elle vivait sa vie tranquillement toute seule sans déranger personne. Elle n'était pas très riche d'abord. D'autres pourraient bien aider cet homme.

Mais si elle pensait ainsi, tout le faisait aussi n'est-ce pas ? Ne pouvait-elle pas être la première à apporter sa pierre à l'édifice ? Ne pouvait-elle pas faire une bonne action ?

- Vous allez bien mademoiselle ?

La voix du SDF la surprit. Elle était chaleureuse. Un peu rauque peut-être mais agréable. Elle ressemblait un peu à celle de son grand frère de trente ans lui aussi. Elle releva les yeux. Aussitôt, une vague de honte déferla en elle. 

Elle ne s'était pas attendue à ce physique et cette voix. Non, absolument pas. elle pensait voir un vieux monsieur hirsute aux habits rapiécés, à la voix abimée par la cigarette et l'alcool. A la place, elle détaillait un homme qui aurait pu être son frère.

Un homme qui n'avait sûrement pas beaucoup bu dan sa vie.

Un homme aux habits sales mais pas en lambeaux.

Un homme qui s'était peut-être fait mis à la porte il y a quelque jours.

La honte la submergea une fois de plus. Un goût amer qui vient en bouche, comme un morceau de chicon qu'on aurait mal digéré. Un cliché. Des clichés. Ellein pouvait se prétendre indépendante de tout jugement mais certains clichés étaient toujours profondément enracinés dans les tréfonds de son esprit. La jeune femme jeta un coup d'œil fuyant à l'homme puis elle se releva. Et s'empressa de s'en aller à grandes enjambées.

Lorsqu'elle se blottit dans son canapé, tout près de son chauffage, elle se traita de tous les noms. Elle se sentait terriblement lâche. 

Coupable. 

Honteuse. 

Furieuse, plus furieuse que jamais.

Furieuse contre elle-même, contre la société mais aussi furieuse contre ce SDF. Elle n'avait rien demandé, elle ! Ce n'était pas elle qui pourrissait la planète, pas elle qui encourageait le patriarcat, pas elle qui détenait les trois-quarts des richesses du globe ! C'était à cause de lui ! Tout était à cause de lui ! Si elle ne l'avait pas croisé, elle ne se serait pas posées toutes ces questions et elle aurait continué sa vie sans encombre !

Mais en s'enfuyant, n'avait-elle pas encouragé toutes ces choses contre lesquelles soit disant, elle se dressait ? 

N'était-elle pas coupable au même titre que 8 autres milliards d'êtres humains ?

Ne choisissait-elle pas la facilité et la satisfaction de tout rejeter sur un bouc émissaire ?

N'était-elle pas complètement irrationnelle ?


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